© Laurent Millet
La Galerie Particulière 16 rue du Perche 75003 Paris France
Somnium (somnii), nom latin neutre: Rêve, songe.
Au figuré: rêverie, vaine imagination, fantasme, illusion, chimère.
Laurent Millet est né en 1968. Il vit et travaille à La Rochelle et enseigne à l’Ecole Supérieure des Beaux- arts d’Angers.
Photographe et plasticien, Laurent Millet compose les chapitres d’une encyclopédie imaginaire, peuplée d’objets qu’il construit puis photographie dans des décors naturels ou dans son atelier. Ses assemblages sont des hybrides d’objets traditionnels, scientifiques, architecturaux, ou d’œuvres d’artistes dont il affectionne le travail. Chacune de ces constructions est l’occasion de questionner le statut de l’image : son histoire, sa place, les phénomènes physiques qui s’y rattachent et ses modes d’apparition.
L’exposition qui lui est consacrée à la Galerie Particulière, autour des notions de portrait et d’autoportrait, fait écho à la rétrospective que le musée des Beaux-Arts d’Angers lui dédie du 17 mai au 16 novembre 2014, « Les enfantillages pittoresques ». L’acte créatif, la figure de l’artiste, du « modeleur », ainsi que le lieu de l’expérimentation – l’atelier, y seront évoqués à travers trois séries distinctes : «Les derniers jours d’Emmanuel Kant», «Translucent Mould of Me», et une nouvelle série d’ambrotypes « Somnium».
© Laurent Millet
La série « Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant » fut réalisée en 2009 d’après le roman éponyme de Thomas de Quincey décrivant la fin de vie du philosophe. Avec la vieillesse, la logique et la rigueur de sa pensée quittent peu à peu le grand savant. Son jugement se fausse, ses théories vacillent et les idées qu’il développe sont tronquées. Le grand penseur devient un bricoleur : l’atelier se confond avec le cabinet de travail durant une série d’expériences hybrides à la finalité incertaine.
Dans « Translucent Mould of Me », série d’autoportraits conçue en 2013, le protagoniste est comme perdu et enfermé dans un espace indéfini parfois ponctué d’objets ou d’images comme autant de traces, de souvenirs, d’autres moments, d’autres mondes. Seule la présence énigmatique d’une ligne, unique élément fixe dans un monde flou, semble encore faire lien avec le monde physique/réel.
Ces deux séries sont des versions différentes et complémentaires de l’autoportrait, jonglant avec la logique de l’homme seul, ses dérapages fictionnels, ses décrochages de l’espace normé. Une sorte d’enfermement dans la rêverie qui produit une impuissance conceptuelle pour Kant et un déplacement du corps dans un espace qui n’en est pas un dans le cas de Translucent.
© Laurent Millet
Les ambrotypes, composés de formes géométriques où l’artiste apparaît parfois en transparence, sont des ponctuations plus radicales et mélancoliques de cet univers. Les constructions géométriques, qui apparaissent régulièrement dans le travail de Laurent Millet, sont représentatives de son goût pour la méthode. Mais, ici le volume géométrique est également proche de se perdre dans l’informe, dans la masse noire et indéfinie du fond. Et le personnage qui tente quelque fois de s’en approcher pour la saisir, sans succès, paraît lui aussi se diluer dans le flou et les profondeurs de la plaque de verre.
Ces trois séries mises en perspective, tentent toutes, de manière différente et décalée, de dresser un portrait de l’artiste. L’élan créatif aux résultats ridicules dans «Les derniers jours d’Emmanuel Kant», domine la vie. Le sentiment d’isolement, de perte de soi, et d’aliénation, semblent être le décor de «Translucent Mould of Me». Et toujours présentes, l’impression d’inachèvement, la quête vers l’idée ou l’objet crée, que l’on a du mal à cerner dans sa globalité, que l’on ne parvient à saisir. Mais l’artiste le peut-il vraiment ?
© Laurent Millet
« Il y a chez Laurent Millet un goût pour la méthode. Son travail n’obéit toutefois à aucun système. La part poétique de la méthode prend toujours le dessus et constitue une sorte d’armature qui se donnerait pour la métaphore toute entière de la pensée. D’où cette drôle de présence du «cérébral» dans son art : le parfum de la spéculation est partout mais plutôt que de s’évanouir il se transmute en formes...
Il ne s’agit pas d’objet mais de masses spatiales, de constructions élémentaires, de structures en développement, de processus de repliement, d’antimatières et, parfois de vestiges. Cette part du corpus de Laurent Millet est celle qui le relie le plus à la génération des sculpteurs monumentaux... Mais derrière le jeu des références, il s’agit bien de tenter de caractériser ce qui se joue dans une part importante de l’oeuvre : une expérience permanente du plan. Car Laurent Millet travaille sur le principe de la perception, montrant ainsi que le photographique constitue un espace de travail par le fait même que s’y déploie une vision par plans - du fait de la régulation perspectiviste que propose la machine optique. Alors que l’oeil fait le point, l’optique mécanique planifie la vision - cet axiome technique permet de regarder le jeu qu’instaure Laurent Millet par délimitation des formes dans l’espace ».
Michel Poivert - Extrait du catalogue édité à l’occasion de l’exposition au Musée des Beaux Arts d’Angers.