Jimmy bourgeois, Bruxelles, 1940-1945 © Pierre Bourgeois
Musée de la photographie de Charleroi Avenue Paul Pastur, 11 6032 Mont-sur-Marchienne Belgique
Le Musée de la Photographie de Charleroi présente trois artistes photographes
Rodolphe Archibald Reiss (1875-1929), Le Théâtre du crime
Les photographies de la police scientifique sont très rarement présentées au grand public. Elles demeurent longtemps confidentielles, car elles vont à l’encontre de divers tabous quand elles traitent de la mort violente et du crime. Réalisées il y a près de cent ans par Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, ces images révèlent toute leur dimension esthétique, tout en gardant intensément leur force émotionnelle. Pionnier de la criminalistique, Reiss fait preuve d’une maîtrise photographique inégalée dans le domaine. Mémoire de l’enquêteur, ces photographies réalisées selon un protocole très formel montrent sans fard ni émotion des scènes de crime et des traces relevées. Elles sont toutes associées à l’enseignement ou aux dossiers d’expertise de Reiss. Elles permettent de voir des lieux et des environnements inédits, et sont paradoxalement souvent formellement très abstraites.
La frontière entre le réel et l’imaginaire est ici ténue. Entre les faits et leurs représentations, ces photographies sont empreintes d’une émotion particulière en raison des circonstances dramatiques dont elles sont le témoin. Leur agrandissement à des formats d’exposition leur confère également un aspect très contemporain.
L’exposition Le Théâtre du crime présente 120 images. Elle est réalisée en collaboration avec l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne.
Rodolphe Archibald Reiss, né en juillet 1875, est issu d'une famille originaire de Francfort-sur-le-Main admise en 1901 à la bourgeoisie de Lausanne. Il étudie la chimie à Lausanne et obtient un doctorat ès sciences. En 1898, alors membre de la Société d'étudiants "Stella", Rodolphe Archibald Reiss lance, avec Isaac Rouge, le Journal suisse des photographes. Assistant du professeur Brunner à l'Université de Lausanne, il installe la radiographie à l'Hôpital cantonal. En 1899, Rodolphe Archibald Reiss est mandaté par le gouvernement vaudois pour créer un laboratoire universitaire de photographie ; il est ensuite chargé du cours de photographie scientifique. En 1902, il enseigne la photographie judiciaire. Alors qu'il est, de 1902 à 1907, le rédacteur en chef de la Revue suisse de photographie, il organise, en 1903, le congrès de l'Union internationale de photographie à Lausanne, et crée l'Institut de police scientifique (ISPC). Professeur extraordinaire de photographie scientifique et judiciaire à l'Université de 1903 à 1919, Reiss est correspondant de la Gazette de Lausanne en Serbie. Là-bas, il mène, de 1914 à 1918, une enquête et des recherches sur les envahisseurs austro-hongrois et les atrocités commises pendant la Première Guerre mondiale. En 1919, Rodolphe Archibald Reiss démissionne de l'enseignement lausannois et s'installe, dès 1921, à Dobro Polje dans les environs de Belgrade. Rodolphe Archibald Reiss reçoit de nombreuses distinctions honorifiques. Il décède à Belgrade le 8 août 1929.
Jimmy Bourgeois. Bruxelles à l’ombre allemande
Jimmy Bourgeois n’a que 21 ans lorsque la guerre éclate en Europe. C’est à travers son appareil photographique qu’il vit ces moments pénibles. Echappant à la censure, il travaille sans contrainte car n’appartenant à aucune agence de reportage, guidé par une seule idée, collecter des images, rapporter…
Suite au don fait par Pierre Bourgeois de 270 négatifs inédits de son père Jimmy Bourgeois, le Musée de la Photographie a sélectionné et tiré une quarantaine de photographies qui présentent l’occupation, la destruction et la libération de Bruxelles.
Prises sur le vif et cadrées instinctivement, les photographies de Jimmy Bourgeois reflètent l’atmosphère de l’époque. On parcourt l’avenue Louise et les grands boulevards bruxellois pratiquement déserts, on se trouve au cœur du marché noir, dans les files de ravitaillements ou devant les campagnes d’affichage illustrant les nouvelles mesures de rassemblements populaires, la position des alliés en Europe. On découvre les bâtiments en ruine, les actions de démonstration du pouvoir que sont les défilés, Grand Place ou Place Royale, les parades devant le Palais des Beaux-Arts, les banderoles affichant un immense V sur les façades de bâtiments. S’offrent enfin les instants précieux et tant attendus de la Libération avec la foule qui exulte.
Jimmy Bourgeois est un précieux témoin de cette guerre mais également un photographe important pour le photojournalisme belge. Au sortir de ces années terribles, il deviendra membre de l’agence internationale Associated Press.
Accident, Rivaz, mai 1913 © Rodolphe Reiss / Musée de l’Elysée / Institut de police scientifique, Lausanne
L’autre Misonne
Amoureux de la nature, Léonard Misonne (1870-1943) consacrera sa vie à la glorifier par la photographie pour en faire ce qu’il nomme lui-même des tableaux photographiques. Dès ses débuts en 1896, il trouve sa voie, celle qui le conduira à explorer les campagnes de l’Entre-Sambre-et-Meuse, de la Campine ou des Ardennes pour en ramener des images intemporelles et mystérieuses qui le rendront rapidement célèbre dans le monde entier à travers expositions et publications. Son œuvre, riche et abondante, s’inscrit dans le mouvement pictorialiste qui, au tournant des XIXe et du XXe siècles, affirmera la photographie en tant qu’art, prônant des interventions manuelles sur les images au moyen de procédés complexes. Léonard Misonne deviendra un maître en la matière et restera fidèle à cette esthétique pictorialiste et à ses principes, ce qui le marginalisera quelque peu alors.
L’exposition L’autre Misonne présentée au Musée de la Photographie nous permet de lever un coin de voile sur une partie généralement méconnue de l’artiste et de découvrir «non plus le Misonne retranché derrière la perfection de ses tableaux photographiques mais le Misonne preneur d’images, observateur de son temps et de la figure humaine qu’il appréhende avec beaucoup de sensibilité et d’humanité : gens de la campagne, gens des faubourgs de Charleroi, petits bourgeois et gens aisés… et aussi, d’innombrables portraits et scènes d’enfants : les siens, ses neveux, les enfants de la rue ou des villages.
C’est au prix d’un travail lent mais combien passionnant que l’asbl Photographies Léonard Misonne, fondée en 1987, a permis de mettre au jour ces clichés inédits du photographe pris entre 1891 et 1928 et de découvrir cet autre Misonne.
Il reste encore un grand nombre de négatifs à découvrir mais il en existe assez aujourd’hui pour découvrir ce Misonne inconnu, ce Misonne sans fard et sans retouches, pour tenter de le libérer des jugements portés sur son œuvre et sur sa personne, faute de n’avoir pu encore mener à bien un travail complet d’investigation qui replacerait l’œuvre dans son contexte.
Gilly, août 1917 © Léonard Misonne / Sabam Belgium 2014