Vermillon © Anne-Lise Broyer
Galerie des Comptoirs arlésiens 2 rue Jouvène 13200 Arles France
« On demande souvent aux artistes, quel est le point de départ de leurs recherches, de leur démarche... Je crois que je puis dire en toute sincérité que, je suis avant tout une « lectrice », et que ce qui au fond a déclenché et déclenche encore chez moi l’acte créatif, c’est bien l’expérience de la lecture. l’expérience de la photographie se confond-elle avec celle de la lecture ?
L’œil circulerait dans le paysage de la manière dont il circule dans le livre, traquant la présence qui saisit, requiert, effraie ou ravit. là où l’écrivain sortirait son carnet, je sors mon appareil et fabrique une image. Paysages ou portraits, natures mortes... en noir et blanc le plus souvent, comme pour retrouver le gris du texte, quelque chose comme de la matière grise. Cherchant à tendre vers des images plus pensives que pensées, je souhaite faire du lieu de révélation que représente la photographie l’analogon d’un espace mental où quelque chose prendrait corps, un souvenir, une réminiscence ou une vision, un fantasme. la photographie n’a d’intérêt pour moi que dans ce questionnement permanent qu’elle peut entretenir avec les autres arts la littérature et le cinéma bien sûr, mais aussi la peinture, le dessin, la gravure...
M’en inspirant pour nourrir un imaginaire mais aussi, pour interroger la nature du réel, comme si une image fabriquée, une image de l’art, pouvait tout autant lui servir de sujet ou de prétexte. les médiums se frottent, se confondent parfois... le dessin* se confond, se mélange à la photographie.
Je questionne ainsi les zones de frottements, d’intersection de ces deux médiums, les conjuguant dans leurs limites, les rapprochant, les distordant... il n’en demeure pas moins que mon attachement à la littérature conditionne un amour du livre, je vois dans celui-ci un lieu d’épanouissement pour mon travail. Faire dialoguer les images entre elles (l’entre-image), constituer des séries, jouer sur les formats, les silences, les blancs, les rythmes... tout cela m’importe. le livre est comme une scénographie en mi- niature, dont on retrouve l’expression agrandie dans les scénographies de mes expositions. Mon travail véhicule une part de mystère, mais peut-être que mon secret (si j’en ai un) ne réside pas tant du côté de la chose vue que du côté de celui qui regarde. » Anne-Lise Broyer
Anne-Lise Broyer © Vermillon - 14, Mazirat, 2010
« Dans ces jours de juillet, ceux d’août, de novembre 2010 et de janvier 2011, aux Cards, ce trou perdu du sud- ouest de la Creuse, étrangement c’est le gris qui m’entourait. Un gris lourd, chargé, humide, la lumière ne vint pas, ne vint jamais. Même en plein été le ciel tombait.
Un écrivain est né là, en 1945, Pierre Michon.
Ce gris je l’ai bien évidemment pris pour le gris du texte, ses livres et ses mots que nous échangeons depuis presque dix ans par satellite (uniquement), des courriels, des sms, des mots qui volent. Cette série qui se déploie sous vos yeux est le résultat de cette correspondance avec l’écrivain, un des préférés. elle croise son univers et mon expérience de lectrice, elle se nourrit de nos échanges et de notes qu’il m’avait envoyées. elle est en gris et en rouge. elle est grise et vermillon. elle est comme tachée de petites blessures, de petits signes... les gambettes s’écorchent dans les broussailles qui entourent la maison.
C’est le rouge de l’égra-tignure, le rouge de l’édition originale du Gilles de Rais de Georges bataille que Michon possédait évoquée dans les Vies Minus- cules, le rouge des «lucky strike » (celle de 1931 de William Faulkner), le liseré rouge de la collection blanche Gallimard, le rouge des carnets où l’écriture peine parfois à venir, le rouge des baies, le rouge des phares de la golf, le sang du lapin que l’on tue volontairement par dépit ou sans raison, le rouge des zinnias, le rouge... la maison devient un totem autour de laquelle j’ai tourné inlassablement dans une sorte de danse photographique en sandales ou en bottes aigle. les images incantent le passé, le sien, le mien. rêve d’indiens, de guerre de Troie... la promenade devient croisade. la maison est toujours dehors, la porte ne s’ouvrira pas. la recherche (du temps perdu) est précise, minutieuse, elle explore la matière même des textes : la matière grise, les mots, les choses, les paysages s’y mélangent pour nous laisser apercevoir, au travers des images, le murmure de la langue. » Anne-Lise Broyer
Anne-Lise Broyer © Vermillon - 23, Moutier-d'Ahun, 2011
« Aux Cards, regardant par la fenêtre en juin dans le brouillard à 7 h du matin : les Iroquois sont de ce côté-ci, les Hurons de ce côté-là ; on entend parfois les flèches perdues qui sifflent (et bien sûr, les tambours de guerre). Parfois c’est, au fond des bois, des légions hurlantes, dans les Panonnies. J’ouvre les volets là-dessus. » Pierre Michon
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