© Bernard Faucon / Agence VU'
Il n’y a qu’un seul thème, qu’un seul point de départ : le vertige d’être là.
Nombre d’entre nous ont oublié qu’il y avait là, à gauche en descendant les escaliers de la MEP, les images du Temps d’Avant. Ce sont ces mêmes tirages, ces «objets» précieux que nous allons montrer, rassemblés pour la première fois dans une Galerie.
Nous connaissons l’œuvre qui pendant 20 ans, de 1976 à 1996 s’est construite en séries, mises en scène extrêmement construites, au format carré, en couleur. Une œuvre qui prendra une place unique dans l’histoire de la photographie, révélant un des talents les plus originaux de la création contemporaine. Répertoriée dans les ouvrages historiques internationaux, elle est célébrée au Japon, en Corée, en Chine récemment, ainsi qu’aux Etats-Unis où elle fut plusieurs fois exposée par Leo Castelli.
L’évolution sensible de ce travail fut montrée avec une grande intelligence à la Maison Européenne de la Photographie en 2005. Le parcours, le jeu de piste se terminaient par la visite, ou plutôt, l’immersion dans le cabanon reconstitué dans les sous-sols de la Mep.
Tirées dans un format légèrement plus petit que celui des séries, et toujours selon le procédé Fresson qui leur confère cette douceur, cette profondeur précieuses, il apparaît comme une évidence que ces images réalisées à la fin des années soixante préfigurent l’œuvre à venir et révèlent les éléments de ce qui constituera ses « tableaux photographiques », son univers si singulier, personnel, unique.
Il a 14 ans quand sa grand-mère Tatié lui offre un Semflex, un appareil 6 x 6, et qu’il découvre, fasciné, la magie de ces grandes diapositives couleur qui savent si bien capter l’immédiateté du monde. Il restera fidèle pendant 20 ans à cette technique : « J’ai eu de la chance de tomber tout de suite sur ce qu’il me fallait ».
Lui qui voulait être peintre ou écrivain peut jouer avec la caméra à essayer de retranscrire la perfection d’un instant, le visage du vivant, capter la poésie involontaire du quotidien. Le cadre en est, d’abord et avant tout, le Luberon et ses paysages, ses couchers de soleil flamboyants où il inscrit parfois sa silhouette, la langoureuse tristesse d’un jour d’hiver, les collines qui s’étagent au loin. La maison de ses parents est alors un camp de vacances pour enfants. Il y photographie ses amis, son frère Pierre souvent, sa grand-mère, le linge qui sèche, le soleil qui dore tout, la cour, la cuisine, l’herbe sèche. Il isole les instants, les objets, le sujet. Chaque image semble porter l’expérimentation profonde d’une réalité en train de se faire. Les portraits sont posés, sérieux et celui de Pierre à la Balançoire ou de Michel à la Chapelle portent fortement en eux l’attention au cadre, la construction au cordeau de l’image.
© Bernard Faucon / Agence VU'
Ce travail intuitif, instinctif, dit la sensibilité tendue d’un jeune homme de 16-17 ans terriblement conscient d’un réel qui n’est déjà plus. Regardant pour mieux garder. Mais cela aussi est dérisoire. Nous savons que la nécessité artistique plonge ses racines dans l’enfance. Et comme tout artiste, Bernard Faucon y a puisé pour créer ces images que nous emplissons de notre expérience, de nos désirs, de nos interrogations et parfois aussi de nos regrets. Elles deviennent le matériau de ce dont nous sommes tous faits.
« D’emblée, j’ai été ébloui par cette possibilité de capter le monde, même si je continuais à vouloir être peintre. J’ai photographié le ciel, les lueurs du couchant à travers les arbres, les visages des enfants, mon petit frère Pierre. Des visages et des lumières uniquement. » - Bernard Faucon
Aujourd’hui Bernard Faucon, quand il n’est pas à Paris, choisit des routes partout dans le monde, le Luberon toujours, l’Asie, le Pérou, Cuba et roule vite, très vite. A sa droite, à la « place du mort », sur le tableau de bord une caméra Canon enregistre, avale le paysage qui défile. Et sur ces images qui, sur l’écran, deviendront hypnotiques, il raconte, déroule sa vie. Des morceaux de vie. Des « capsules de vie » comme il dit. Petites capsules cosmiques qui nous emportent dans l’espace-temps.
Et toujours ce « Vertige d’être là... ».
© Bernard Faucon / Agence VU'
« J’avais 15 ans, 16 ans, 17 ans, je prenais un plaisir fou à faire mes dia- positives couleur 6 x 6, à voir bouger le monde à la surface du dépoli, à contempler ensuite mes petits carrés transparents, empreintes brûlantes de ce que j’étais, de ce que j’aimais. Lueurs du couchant à travers les arbres, visages de Pierre, le petit frère, de Michel et des ancêtres tutélaires, courbure de notre colline, profil de notre maison...
Les mots suivaient avec la même maladresse, le même entêtement, ce qui importait c’était de témoigner, d’urgence, comme si le monde m’avait attendu ! (...)
Voici, surgies du fond des âges, dans leur lyrisme naïf et totalement vintage, ces illuminations d’un petit luberonien panthéiste, catholique, amoureux ! »
Bernard Faucon
Né en Provence en 1950. Après des études de philosophie et de théologie, Bernard Faucon est l’un des premiers artistes à explorer l’univers de la mise en scène photographique. Convaincu que l’étape de la mise en scène avait été le chant du cygne du medium photographique, le dernier stade avant le règne de l’image pure, numérique, publicitaire, en 1995, il décide d’interrompre son œuvre, commencée en 1976. « Un moment où l’on croyait encore suffisamment au pouvoir de vérité de la photographie pour s’offrir le luxe de construire des fictions vraies »
Bernard Faucon a exposé dans le monde entier, notam- ment chez Léo Castelli à New-York, chez Agathe Gaillard, Yvon Lambert et à la Galerie VU’ à Paris. Il est très apprécié au Japon et en Chine.
© Bernard Faucon / Agence VU'
Principales expositions depuis 2007
2013
Goeun Museum of Photography, Busan, Corée, Rétrospective
2012
Yuan Space, à l’invitation De Zeng Fanzhi, Pékin, Chine
2011
New Orleans Museum of Art, États Unis
2010
Kobe Fashion Museum, Kobe, Japon
2009
Rétrospective itinérante en Inde qui a débuté à la Galerie Romain Rolland à New Delhi
2005
Maison Européenne de la Photographie à Paris, Rétrospective
Galerie VU’, Le temps d’après
De 1997 à 2003 Bernard Faucon crée dans 25 pays l’événement « Le plus beau jour de ma jeunesse », avec 2000 jeunes dans 25 pays. Un sursis qu’il s’est accordé, en changeant l'objectif de mains, pour prolonger le cérémonial des mises en scène : la fête, la jeunesse, l’insouciance de l’image.
Depuis 2000, les mots, qui étaient présents depuis le début, ont définitivement pris le pas sur la photo, avec des recueils de textes poétiques : La peur du voyage, Été 2550, Le Temps d’Avant, jusqu’au work in progress actuellement Les Routes, une auto-biographie (biographie en auto !), un dispositif romanesque mêlant récits et routes filmées dont nous vous dévoilerons quelques extraits.