MAX REGENBERG- L’USAGE DU PAYSAGE
Le Centre de la photographie Genève consacre au photographe Max Regenberg sa première exposition hors d’Allemagne du 24 janvier au 23 mars 2014. Elle retrace avec environ 60 pièces les moments forts d’une œuvre construite durant les 35 dernières années. Né en 1951 à Bremerhaven, Regenberg compte parmi les représentants les plus intéressants du « style documentaire » en Allemagne ;néanmoins, son travail reste à découvrir. A cette occasion paraîtra un catalogue en collaboration avec la Städtische Galerie Wolfsburg, la Fondation « A Stichting » (Bruxelles) et la galerie Thomas Zander (Cologne). Depuis la fin des années 1970, Regenberg photographie exclusivement des affiches géantes dans l’espace public, principalement en Allemagne, mais aussi au Canada, en France, Italie et Suisse. Intéressé par les constellations hasardeuses entre architecture, contenu de l’affiche et contexte urbain, ces photographies, comme l’observe l’artiste, informent beaucoup sur le temps propre de la prise de vue. Elles sont autant le témoin d’une époque que la conscience culturelle et politique de nos sociétés marchandes. Si le graffiti est le lieu d’expression des démunis dans nos villes, la palissade d’affichage est l’endroit d’expression des pouvoirs économiques, le lieu de propagande par excellence de l’idéologie capitaliste
Nous pouvons considérer Max Regenberg comme un photographe de paysage qui marie l’art et la publicité et qui joue de la force de séduction des deux domaines. Oscillant entre fascination et critique, son travail reflète l’imagerie que nous trouvons principalemen dans les villes sur les colonnes Morris, les panneaux d’affichage et les palissades de publicité. Il n’est pas étonnant d’apprendre que l’artiste lui-même possède une collection de plus de 7000 affiches. Cette œuvre s’inscrit dans la tradition des représentants des « New Topographics », ces photographes d’Amérique du Nord qui ont substantiellement changé la photographie de paysage dès le début des années 70, tels Robert Adams, Lewis Baltz ou encore Stephen Shore. Cette génération s’est intéressée davantage à la relation dialectique entre nature et civilisation, tout en travaillant ce champ de tension entre représentation, fiction et documentation, entre réalité tangible et simulation, afin de mieux cerner les systèmes d’aliénation produit par le capitalisme post-guerre. Une thématique conséquente comme base d’une culture de la mémoire Ce travail de fourmi est témoin d’une époque tout en étant cage de mémoire, relatant le changement continu de la société capitaliste, que ce soit le monde de la publicité ou le paysage, les deux étant tout autant soumis à la valeur marchande. Tel un séismographe, le travail de Max Regenberg enregistre l’état culturel et politique de la société de consommation. L’omniprésence des formes les plus diverses de la propagande publiciste domine nos villes et influe par sa présence imposante sur nos comportements de consommateurs, mais aussi de citoyen. Nous vivons une culture où l’image domine l’écrit pour déterminer, avec des messages qui doivent être communiqués en un quart de seconde, le goût et la conscience des consommateurs. Max Regenberg nous le rappelle avec véhémence ! Il trouve ses sujets partout, devant sa porte, dans les villes voisines tout comme à l’étranger, c’est-à-dire dans l’hémisphère occidental. Il compose ses images à Barcelone, Berlin, Montréal, Paris ou Düsseldorf, mais surtout dans sa ville d’élection : Cologne. Si les lieux importent peu pour la réception de son travail, ses photographies restent des témoins de la bataille sans fin que l’homme mène contre la nature, tout en dressant des portraits de villes inattendus.
© Max Regenberg, Who puts you in the picture?, 1981. L.B. System Vancouver, Canada
EMMANUELLE BAYART-COMMÉMORATION
« Paris, Paris Île-de-France, Paris et sa périphérie, Paris banlieue. Suite aux émeutes de 2005, tombés depuis sous silence, et soucieuse de sortir de la cage dorée de l’enceinte parisienne, je me suis rendue en banlieue. L’existence des banlieues est le résultat d’un débordement de la ville au-delà de ses murs ou limites, ou encore d’un étalement urbain, si ce n’est la mise en œuvre volontaire d’une relégation sociale. Il n’est pas ici question des jeunes des cités mais de Sarcelles, où les revendications mémorielles qui se jouent à ciel ouvert, à qui de droit, disent quelque chose des enjeux de notre temps présent. Sarcelles est représentative d’autres villes de banlieue, mais se distingue par l’ampleur de ses représentations mémorielles. L’agglomération se divise principalement en deux parties distinctes: le vieux village au Nord-Ouest et le quartier des Lochères au Sud, celui de la ville nouvelle des années 50, séparée du reste de la commune par un important parc sportif. Interloquée par la présence d’un buste d’Aimé Césaire sur une place attenante au grand ensemble, à 50 mètres d’une plaque mémorielle à Jean Moulin, j’ai ensuite découvert de nombreux autres mémoriaux, insoupçonnés. Dès lors, je me suis demandée comment un mémorial gagnait-t-il l’espace publique et qui en était le commanditaire. Bien que la demande vienne d’associations qui, en concertation avec la mairie, choisissent d’édifier un monument ; que le Centre sportif Nelson Mandela soit fréquenté par une large part de la population, dont les jeunes, ces édifications sont-elles vraiment là pour transmettre les Histoires et pour honorer les morts, ou cette surenchère mémorielle résulte-t-elle d’une course aux monuments menée par une politique clientéliste au risque du communautarisme.
La réponse est double et les demandes bien réelles. Quelle place est donnée à l’histoire, de qui et de quelle façon? Que nous apprend l’histoire sur notre présent? Les banlieues, un ghetto? Mon travail est de montrer, pas de dénoncer ni de juger. J’ai donc pris le parti de photographier ces monuments dans leur contexte, composant ainsi un paysage sarcellois sous leur angle. L’image est le lieu d’une rencontre qui j’espère suscite interrogation malgré une certaine banalité apparente. Je me sens proche des sciences sociales mais je ne cherche pas comme celles-ci à expliquer, surtout interroger. C’est à l’agencement du présent dans son contexte que je m’attache, et à sa relation aux temps de l’histoire. »
© Emmanuelle Bayart, Buste d’Aimé Césaire,1913-2008, emblème de la négritude, avenue Au-
guste-Perret, Sarcelles, France, 2012