© Takehiko Nakafuji
Galerie Adrian Bondy 221 rue St. Jacques 75005 Paris France
Exposition du 20-11-2013 au 21-12-2013
et du 08-01-2014 au 18-01-2014
Né en 1970 à Tokyo, Takehiko Nakafuji quitte ses études en Lettres à l'Université Waseda afin d'obtenir un diplôme en Photographie aux Arts Visuels de Tokyo, où il est élève de Daido Moriyama. Il produit plusieurs livres de photographies en noir et blanc, basés sur des voyages au Japon, en Europe de l'Est, en Russie, et à Cuba. Cette exposition est tirée de deux de ces livres, Enter the Mirror, sorti en 1997, et le tout récent Sakuan, Matapaan: Hokkaido, pour lequel on lui a décerné en août 2013 le Special Photographer Award au Festival International de Photographie de Higashikawa (Japon). Il est propriétaire de la Gallery Niepce à Yotsuya, Tokyo.
L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR ET UN AUTRE PAYS
DAIDO MORIYAMA
Il a pris le meilleur, donc autant prendre le reste.
Au début du roman « Un Autre Pays » par James Baldwin, Rufus le jeune noir émet ces mots du plus profond de son cœur à Times Square à minuit. En regardant les tirages de l'album photo vierge « ENTER THE MIRROR » de Nakafuji Takehiko, ces mots sont venus à l'esprit.
Ce n'est pas parce que l'album contient des images prises à New York. Loin de là, en fait, il y en a de nombreuses prises à Tokyo, Amsterdam, Londres, Paris, et dans d'autres villes mélangées au hasard. Alors, c'est parce que je sentais un ton désespéré qui fait instinctivement echo de quelque part la phrase. Qui à son tour fait émerger l'ambiance créee par ces images. Cela pourrait bien être la présence de Nakafuji Takehiko, et de son tempérament. Ses photos, ou ses perceptions si je puis dire, sont au premier regard rigoureusement sèches et dures. Toutefois, tout comme les paroles de Baldwin impliquent une humidité relative dans ses romans noirs, les images en noir et blanc extrêmement brutes émanent sa chaleur humaine vis-à-vis des êtres urbains. Il m'a répété maintes fois, tout en me montrant ses tirages, sa détermination à être sur la route. Et ce n'était pas comme un vagabond insouciant mais comme le hors-la-loi sous pression qu'il aspire à être.
Comme c'est le cas pour tout photographe, y compris moi-même, quelqu'un qui prend des photos en traînant sur la route peut être comparé au pugiliste effectuant une boxe de l'ombre. Un pugiliste travaillant sur la route prend un tournant soudain et envoie un coup direct dans le néant, et donne des coups incessants à sa propre personne dans le miroir sur le mur de la salle de gym.
Pour ainsi dire, c’est un défi incessant et inflexible envers soi-même ainsi qu'envers un ennemi imaginaire qui s'approche. C'est un voyage continu vers son propre ego pessimiste et narcissiste. Nakafuji Takehiko doit partir du point où il a produit l'album photo intitulé « ENTER THE MIRROR » afin de chercher « THE OTHER SIDE OF THE MIRROR ». Le miroir, cela va sans dire, représente l’appareil photo, et donc l’appareil signifie sa propre personne. C’est pourquoi, il est lui-même le monde. Un photographe exigeant est un morceau de pessimisme, et de narcissisme aussi. Il doit donc marcher d'un pas lourd tel un Sisyphe ambulant, sans se soucier d'effort sans valeur, mais errant. Toutefois, cela doit être compris de façon concrète, pas abstraite.
Je ne tirerai sur cet album, mais n'ose pas flatter, puisque Nakafuji Takehiko veut avancer sur un chemin de hors-la-loi. Il ne sert à rien, à présent, de dire ou de lire des flatteries superficielles, et nous n'avons pas de temps pour celles-ci. L’expression « Il a pris le meilleur, donc autant prendre le reste » n’est rien sinon un mot de passe pour ces photographes comme nous qui traînent sur la route.
On se connait depuis qu'on s'est rencontré dans la salle de classe 403 aux Arts Visuels de Tokyo il y a quelques années. Chaque fois que je regarde ses photos, je ne peux m’empêcher de sentir ses affinités profondes avec les photographes de « PROVOKE » et « CAMP ».
Mon bon vieux Nakafuji, c'est un chouette album.
© Takehiko Nakafuji
TAKEHIKO NAKAFUJI ─ SAKUAN, MATAPAAN: HOKKAIDO
MARK PEARSON
Zen Photo Gallery, Tokyo
Ainsi que l'ouverture de l'ouest et la ruée vers l'or pour l'Amérique du Nord, ainsi que la Sibérie pour la Russie, ainsi était Hokkaido pour le Japon. Une terre sauvage, reculée, inexplorée et inexploitée pendant des millénaires jusqu'aux temps modernes.
L'incursion des Japonais dans cette terre, connue à l'origine comme Ezo, était essentiellement limitée à la région du Sud autour de Hakodate. Hakodate même était un des rares ports au Japon où les étrangers avaient le droit de vivre pendant les siècles d'auto-isolement du Japon. Port d'accueil pour l'influence de l'ouest, Hakodate a produit un des plus grands photographes du 19ème siècle au Japon en la personne de Kenzo Tamoto.
Les indigènes d'Ezo s'appelaient Ainu, ce qui voulait dire tout simplement humain dans leur langue, par opposition au Kamuy du monde des esprits. Ils étaient principalement chasseurs et pêcheurs, poilus et tatoués. Comme d'autres peuples anciens, ils étaient animistes, et voyaient des esprits Kamuy dans toute chose vivante.
L'ère Meiji a mis fin à l'isolement du Japon et aussi à l'oubli, néanmoins bénéfique, d'Ezo. L'exploitation s'ensuivait et la population Ainu était decimée et diminuée par l'immigration du Japon continental. L'ère Meiji étant relativement récente, des traces des Ainu sont toujours là, dans les noms des lieux, dans des communautés éparpillées, parmi une population au fait de la langue, et quelques traditions oralement transmises.
On pourrait s'attendre à ce que cette différence par rapport au continent, l'éloignement du lieu et les traces d'une culture ancienne attireraient les photographes du Japon continental. Or le seul nom qui vient facilement à l'esprit est Daido Moriyama. Il y venait pendant une période sombre de sa vie et a produit dans les années 1970 une œuvre « infernale » qui a été publiée beaucoup plus tard sous les titres « Hokkaido » et « Northern ». Par ailleurs, la plupart des photographies du Nord du Japon ont été prises dans la région de Tohoku, qui représentait l'extrémité Nord du Japon avant l'ère Meiji.
Takehiko Nakafuji est lui aussi allé jusqu'à Hokkaido. Il a évité de regarder le travail de son professeur Moriyama. Il était plutôt inspiré par des souvenirs d'enfance. Son père était parmi ce grand nombre d'hommes japonais envoyés travailler loin de chez eux par leurs entreprises. Les visites à cette terre étrange lors de son enfance, qui étaient d'ailleurs les rares occasions où il rencontrait son père, avaient sans doute un impact profond sur le garçon. Hokkaido était un lieu de découverte, d'émerveillement naturel, mais surtout un lieu où il pouvait connaître l'amour de son père, pour un temps bref mais extrêmement précieux.
Les hivers à Hokkaido sont rudes, les étés verdoyants. Afin de démontrer les extrêmes des saisons, ce travail est présenté en deux volumes. Les mots Ainu « Sakuan » et « Matapaan » ont été choisis comme titres des volumes respectifs, signifiant « L'Eté arrivera » et « L'Hiver arrivera ».
Les photographies en noir et blanc hautement contrastées appartiennent manifestement à la tradition de la photographie japonaise. Dans « Hokkaido », Moriyama, le prédécesseur de Nakafuji, a créé une vision brutale d'un pays frontalier sauvage tout en luttant contre ses démons personnels dans les années 1970. Par contre, les photographies de Hokkaido faites par Nakafuji me semblent pleines d'espoir et d'ouverture. C'est dans ses photographies de la mégalopole de Tokyo que le travail de Nakafuji révèle l'aliénation. Dans « Sakuan, Matapaan » les routes, les chemins de fer, la mer, les rues des villes mènent ailleurs, à la recherche de cette parenté, de cet amour insaisissable.
© Takehiko Nakafuji
SAKUAN, MATAPAAN: HOKKAIDO
TAKEHIKO NAKAFUJI
Extrait de « Kaze no Tabibito », Vol. 35
Hokkaido a été pour moi un lieu privilégié depuis l'enfance. J'ai grandi à Tokyo, mais feu mon père a été envoyé par sa société à Kushiro. Les réunions de famille à Kushiro pendant les vacances d'été et d'hiver sont gravées dans ma mémoire.
Mon père est né à Tohoku, mais il semblait avoir des relations de travail étroites avec Hokkaido, donc il a passé dix ans en tout entre Sapporo et Kushiro.
J'étais encore au maternelle quand j'ai visité Hokkaido pour la première fois. Quand j'ai fêté mes cinq ans à Kushiro, je sentais que j'avais voyagé à un pays étranger. Pendant les journées libres de mon père, nous visitions tous les coins de Kushiro et de la région environnante.
Je tourne mon regard sur Nusamaibashi, sur les bâteaux de pêche amarrés au port de Kushiro. A l'époque, Kushiro devenait le port principal pour la flotte de pêche en mer du Nord. La ville grouillait de pêcheurs énergiques et de personnes faisant leurs courses, la rue principale de Kita-Odori enneigée près de la maison de la société de mon père. Le parc de Tsurugadai avec ses ours et ses cerfs en cages, des enfants jouant sur leurs luges et leurs mini-skis, vues lointaines au téléscope, ... à vrai dire, il y a tellement de scènes qui restent vivaces dans ma mémoire. Je n'ai presque aucun autre souvenir de cet âge-là. C'est sans doute parce que je trouvais la proximité de la nature en contraste total avec ma vie à Tokyo, un autre monde, une culture totalement à part. En tout cas, les images de ces lieux restent gravées dans ma mémoire.
Beaucoup de temps est passé avant que je me visite Hokkaido de nouveau, mais récemment des circonstances m'ont permis de retourner photographier à Hokkaido. Grâce à mes souvenirs, ces voyages à Hokkaido eurent un sens particulier pour moi. Je faisais des photographies de rue tout en flânant, comme toujours. Quand je le pensais juste, à chaque fois qu'il me semblait bon, je déclenchais l'obturateur. Bien que je fasse exactement ce que je fais partout ailleurs, les souvenirs de plus d'un quart de siècle semblent se fondre dans le paysage devant moi. Surtout en photographiant Kushiro je sens: “J'ai été là avant, exactement là à cet endroit”, un sentiment très fort de déjà vu, parce que photographier le présent met à nu les souvenirs du passé, et je suis conscient du pouvoir de la photographie de refléter le passé et le présent.
En visitant Hokkaido à plusieurs reprises pendant l'été ou l'hiver, à Sapporo, Otaru, Hakodate, Yubari, Wakkanai, Asahikawa, Abashiri, Noboribetsu, Muroran, Obihiro, Kushiro, Nemuro, Akkeshi, Utoro, les rues où je flânais, Rebunto, Rishirito, les îles où je me suis promené, les endroits de Hokkaido ont chacun leur propre caractère, unique et attirant. En particulier, ces villes qui s'aggrandissaient avec le développement commercial portuaire de l'ère Meiji jusqu'au début de l'ère Showa, Hakodate et Otaru, avec la survie miraculeuse des structures occidentales au mileu des bâtiments modernes. Beaucoup de ces structures ont été cédées à la vie nocturne, aux divertissements et au tourisme, bien qu'elles gardent le sentiment que j'aime tant à Yokohama, ces endroits où des mémoires sont profondément ancrées dans la terre. A travers tout Hokkaido, malgré le développement post-Meiji avec ses bâtiments au style occidental, la culture des peuples indigènes ainu demeure profonde.
Sapporo et Asahikawa et Obihiro sont des lieux où les rues ont été soigneusement conçues en forme de grille par la planification urbaine de l'ère Meiji, d'autres lieux détiennent des noms qui diffèrent étrangement du japonais, ayant des origines ainu, et Hakodate avec son exotique cathédrale orthodoxe russe est un lieu de rassemblement pour des personnes d'origines très variées. Le propriétaire d'une auberge minshuku où je me trouvais à Shiretoko venait d'un clan ainu, il m'a montré les tissus et les instruments de musique fabriqués par ses ancêtres. Pendant que je voyageais beaucoup à travers de Hokkaido, j'ai rencontré ça et là des traces vivantes de leur histoire.
Tout ça a fait de Hokkaido un endroit subtilement différent que tous les autres lieux auxquels j'ai voyagé au Japon.
Bien sur, tout lieu a sa propre histoire, sa culture unique imprégnant la terre. Mais dans la plupart des cas, ces cultures locales uniques étaient homogénisées dans la logique de l'État moderne, leur laissant un aspect superficiel.
Hokkaido est une terre périphérique, avec un espace naturel qui ne rentre pas dans une théorie de modernité. La présence depuis longue date du peuple ainu et leur mémoire coexistent de façon précaire avec la modernisation des villes de ce pays septentrional.
Voyageant ici et me rendant compte de la taille de Hokkaido, en expérimentant le froid extrême de l'hiver qui fait baisser la température jusqu'à moins vingt degrés, me rappelle du nom donné à cette terra incognita avant son ouverture et son exploitation: Ezochi. Le peuple ainu gardait leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs et subsistait pendant toutes ces saisons rudes.
Il y a quelques années, j'ai appris que le gouvernement avait officiellement reconnu les Ainus comme habitants originaux de ce pays. C'était certainement quelque chose à célébrer pour eux. Mais le fait que cette reconnaissance officielle n'a été annoncé qu'en 2008 était choquant. L'étroitesse d'esprit avait duré tellement long temps. Il m'est embarassant que, comme la grande majorité des gens, j'ignorais cet omission.
C'est pourquoi Hokkaido réunit l'histoire du Japon moderne, la mémoire spirituelle des Ainus, et mes propres souvenirs d'enfance les plus profonds.
Chacun de nous garde dans son for intérieur quelque chose du temps actuel ainsi que les souvenirs de son enfance et de la culture qui a évolué au travers des générations, bien que les évènements courants et le présent immédiat aient tendance à dominer, ce qui peut créer des tensions en nous.
Pendant mes voyages à Hokkaido, le mémoire du lieu et le souvenir d'enfance s'entrecroisent avec l'importance du présent. En jettant un regard en arrière, je crois que ce que j'essayais de photographier est ce mille-feuille du temps qui ne peut pas être simplement unifié.
J'ai utilisé pour ce livre le titre « Sakuan, Matapaan », qui sont les mots ainu pour « L'Eté arrivera, l'Hiver arrivera ». J'ai choisi ces mots afin d'exprimer mon respect le plus profond pour le peuple ainu qui habite cette terre depuis des temps anciens.
© Takehiko Nakafuji
EXPOSITIONS INDIVIDUELLES
1995 Night Crawler, Konica Plaza, Tokyo
1998 Enter the Mirror, Konica Plaza, Tokyo
1999 Winterlicht, Konica Plaza, Tokyo
2000 Enter the Mirror, Gallery Lux, Seoul, Corée
Deep Seoul, Gallery Niepce, Tokyo
2001 Bucuresti Days, Konica Plaza, Tokyo
From Hanoi to Saigon, Gallery Niepce, Tokyo
2003 Deep Havana, Konica Minolta Plaza, Tokyo
Trans Japan, Gallery Niepce, Tokyo
2005 Street Rambler – New York, Marunouchi Cafe, Tokyo
2006 From Bulgaria, Konica Minolta Plaza, Tokyo
Street Rambler – Shanghai, Lotus Root Gallery, Tokyo
Street Rambler – Russia, Gallery Niepce, Tokyo
2007 Fragments of Reality, Morioka Shoten, Tokyo
Exotica, Gallery Niepce, Place M, Tokyo
2008 Street Rambler – Vancouver, Gallery Niepce, Tokyo
Matapaan, Nido, Tokyo
2009 Sakhalin, Konica Minolta Plaza, Tokyo
2011 Night Crawler 1995 / 2010, Zen Foto Gallery, Tokyo
Street Rambler – Tokio, Place M, Gallery Niepce, Tokyo
Winterlicht, Plac'Art Photo, Paris
2013 Sakuan, Matapaan: Hokkaido, Zen Foto Gallery, Tokyo
Paris, Plac'Art Photo, Paris
EXPOSITIONS COLLECTIVES
2004 Club Paradiso, Kiyosato Photo Art Museum, Yamanashi
2005 Fragments of Reality, National Art Gallery, Sofia, Bulgaria
2008 A Just Report, Emon Photo Gallery, Tokyo
2011 nofound photo fair, Paris
2012 Worldwide@Young Portfolio, Kiyosato Photo Art Museum, Yamanashi
ASPHALT Exhibition, Tanto Tempo Gallery, Kobe
COLLECTIONS
Kiyosato Photo Art Museum, Japan Young Portfolio 1999~2005
(67 photographies)
OUVRAGES
Enter the Mirror (Mole, 1997)
Winterlicht (Wides Shuppan, 2001)
Night Crawler 1995, 2010 (Zen Foto Gallery, 2011)
Sakuan, Matapaan (Zen Foto Gallery, 2013)
Paris (Funny Bones, 2013)
Photographies et vignette © Takehiko Nakafuji