
Peloton - Caroline Vaillant
Caroline Vaillant invite Fanny Viollet, ou comment le tricot devint le médium privilégié d’interaction pour deux artistes à trente ans d’intervalle.
Deux démarches se retrouvent en un lieu. Chacune choisit de confronter cette activité du domestique avec le dehors. Le tricot se présente ainsi comme un support nomade de rencontre : l’une tricote pour, l’autre tricote avec ou fait tricoter.
Toutes deux, à leur manière, convoquent symboles et légendes en mettant en scène la posture du tricoteur.
Caroline Vaillant, traqueuse de tricotophiles, déniche des scènes sensiblement surréalistes dans lesquelles des individus s’adonnent à la pratique. Comme si, dans chaque coin retiré du monde, des groupuscules dédiaient leur temps à cette activité commune. On peut d’ailleurs se demander si la première personne que Caroline Vaillant a découverte en pleine action de tricotage ne serait pas Fanny Viollet... Cette dernière, sous forme de performance, délie les langues au fur et à mesure que ses aiguilles entrelacent les mailles, un mot pour un point de jersey, un fil pour une histoire.
Net Works 2 - Caroline Vaillant
Deux générations de tricots s’offrent ici au regard du passant à la devanture de la galerie. Un tricot, rouge comme la dramaturgie et les contes, disposé sur une chaise, rappelle l’activité désuète, oubliée de la femme au foyer, transposé et revendiqué tel quel dans le réseau de l’art contemporain. Trente ans plus tard, même médium, autre matérialité : le tricot, gris comme la fibre optique et les câbles, s’étend comme un réseau de connexions interindividuelles et collectives. Installée sur un socle, la masse laineuse ne renvoie quasiment plus à une revendication féminine, elle est devenu matériau légitime d’une œuvre convoquant d’autres préoccupations comme la virtualité des relations.
Net Works 3 - Caroline Vaillant
En 2001, Caroline Vaillant commence une aventure avec le tricot. A travers une préoccupation originelle de la relation du photographe et du sujet photographié, elle trouve dans le tricot un outil d’interaction efficace et porteur de sens. Trois productions sont réunies ici autour de l’objet tricoté : Pouvez-vous tricoter avec moi ? Peloton et Net Works. A travers un mode de communication simple, l’artiste va à la rencontre de gens, de communautés et leur fait tisser leur réseau, un lien qui les unit de fait. Ces séances de tricotage font l’objet de photographies - enregistrement d’échanges ou de solitudes - et donnent lieu à des installations tricotées, trace palpable de ces actions.
Net Works 4 - Caroline Vaillant
Pouvez-vous tricoter avec moi ? est une série photographique issue d’un tricot fabriqué en duo où l’artiste invite, pour chaque prise de vue, un inconnu à tricoter avec elle devant son appareil photo : reliés par un cordon de mailles qu’ils tricotent chacun à un bout, sous le regard de l’appareil sur pied, Caroline Vaillant déclenche l’obturateur au moment opportun.
Peloton présente l’absurdité d’un personnage tricotant son propre isolement. Une tricoteuse figure sur les clichés, engoncée dans une masse laineuse monstrueuse par ses dimensions. L’objet enrobe la tête du personnage et construit petit à petit sa solitude.
Net Works 1 - Caroline Vaillant
Net Works est une forme tricotée par des individus qui tracent des lignes de laine reliées entre elles. La forme agit comme un foyer centripète dans lequel des personnes se rapprochent. Les tricoteurs, en tricotant leurs propres liens, confectionnent un réseau humain de fils tissés déplacé ici dans la galerie.
Peloton 2 - Caroline Vaillant
Fanny Viollet, en 1983, décide de s’emparer d’un savoir-faire « artisanal, féminin, modeste et ordinaire» et de le transposer dans des préoccupations artistiques contemporaines. Témoignant d’une forme de résistance douce mais affirmée face à la conformité des interactions sociales, elle se poste à des endroits publics pour tricoter suscitant, pour qui veut bien, le contact, ou à tout le moins la curiosité. Pendant plus de dix ans, elle a voyagé avec son tricot, à présent long d’une douzaine de mètres, envoyant à chaque fois un carton d’invitation mentionnant la date, l’heure, le lieu, le nombre de mailles et de rangs effectués sur son tricot ainsi qu’une formule sibylline différente selon les lieux de rendez-vous : « Parce que tricoter c’est répéter des vies oubliées sur le bout des doigts ». « Parce que voir tricoter fait de l’effet, (...) la tricoteuse invite à « baisser la garde » et le balancement régulier des aiguilles fait vaciller les temps, liant les mots pour un récit. »
Texte critique de Sandrine Ayrole