Krampus, Autriche, série Wilder Mann, 2011 © Charles Fréger
Galerie Photo du Pôle Image Haute-Normandie 15 rue de la Chaîne 76000 Rouen France
« Wilder Mann et compagnie » est le titre générique de l’exposition de Charles Fréger se déroulant dans deux espaces distincts à Rouen : d’une part l’abbatiale Saint-Ouen qui accueille l’essentiel de la série « Wilder Mann » et d’autre part, la Galerie Photo du Pôle Image Haute-Normandie qui présente un parcours dans les séries photographiques de l’artiste.
Durant deux années en 2010 et 2011, Charles Fréger a sillonné l’Europe du nord au sud, de la Finlande au Portugal en passant par la Roumanie, l’Allemagne ou la Slovénie, à la recherche de la figure du sauvage telle qu’elle survit dans les traditions populaires locales. « Wilder Mann », la série de photographies émanant de cette quête, est montrée au sein de l’abbatiale Saint-Ouen. Ces images comme des archétypes, mi-homme mi-bête, animal ou végétal, resurgissent du fond des temps à l’occasion de fêtes rituelles, païennes ou religieuses, célébrant le cycle des saisons, les jours gras, carnaval ou la veille de Pâques. Dans le fonds commun des sociétés rurales européennes, ces personnages ou animaux emblématiques représentaient des figures protectrices dites apotropaïques ou des symboles de fertilité. Aujourd’hui ils évoquent un monde imaginaire, pulsionnel et physique où chacun perçoit un rapport ancestral à la nature où affleurent les ressorts de notre animalité et parfois le désir régressif inhérent à certaines de nos conduites. Charles Fréger parle « d’une figure zoomorphe dont l’aspect rudimentaire et la tenue rituelle renvoient à une universelle nudité ».
A proximité de l’abbatiale, la Galerie Photo du Pôle Image Haute- Normandie propose différentes séries de l’artiste couvrant ces dix dernières années. Ce corpus retrace l’inventaire des Portraits photographiques et uniformes mené depuis le début des années 2000. Groupes sociaux, traditionnels ou sportifs, ethniques ou festifs, le photographe dresse une liste non exhaustive des uniformes et de ceux qui les portent. Plus qu’une vision rétrospective, cette exposition tend à dévoiler la manière dont une œuvre, celle de Charles Fréger, se construit au fil du temps.
Exposition en collaboration avec la Ville de Rouen et le Département de Seine-Maritime.
Babugeri, Bansko, Roumanie, série Wilder Mann, 2011 © Charles Fréger
BIOGRAPHIE DE CHARLES FRÉGER
Né en 1975 à Bourges, France.
Il vit et travaille à Rouen.
www.charlesfreger.com
Il poursuit, depuis 1999, un inventaire intitulé Portraits photographiques et uniformes où aux effets de socialisation retrouvés dans le costume et la tenue. Sa démarche de portrait social, plus poétique que documentaire, dépasse les approches typologiques ou sociologiques, pour se resserrer autour des exigences formelles fournies par les couleurs, les lumières et la figure inscrite dans un espace ou un fond privilégiés. Charles Fréger aime mesurer les écarts d’une tenue à l’autre, d’une tribu à l’autre, tous ces écarts qui font qu’on est soi parmi les autres. À chaque fois, la curiosité le pousse de plus en plus loin dans la recherche de ses sujets mais aussi dans ses recherches formelles. Comme s’il souhaitait aller toujours plus loin dans l’identification aux différentes communautés, comme si pour faire le portrait de quelqu’un il lui fallait toujours désirer sa place et vouloir enfiler son costume.
Il expose régulièrement à travers le monde et a publié plusieurs ouvrages de ses travaux.
Charles Fréger est le membre fondateur du réseau de photographes européens et américains : Piece of Cake (POC).
Opera 30, série Opera, 2005 © Charles Fréger
À PROPOS DES OEUVRES DE CHARLES FRÉGER
Les modèles
Le photographe construit méthodiquement ses figures, mais il n’entame pas une typologie ; il ne cherche pas à saisir la miss, l’étudiant, l’apprenti... pas question pour lui d’épingler l’archétype ou la figure emblématique ; il laisse assez de jeu au modèle pour qu’il y glisse sa subjectivité, qu’il s’approprie son personnage... L’exemple des miss est le plus évident. Ne sont-elles pas enfermées dans le regard des autres, dans cette attente de voyeur à laquelle elles doivent répondre ? Et pourtant elles échappent toutes au moule, elles introduisent dans le spectacle la dose d’ironie salutaire.
(L’objectivité des apparences, par Philippe Arbaïzar, préface de l’ouvrage Portraits et uniformes, éditions 779/SFP, 2001)
Charles Fréger poursuit, depuis le début des années 2000, un inventaire intitulé « Portraits photographiques et uniformes ». En Europe et un peu partout dans le monde, avec ses séries consacrées à des groupes de sportifs, de militaires ou d’étudiants, il s’intéresse aux tenues et aux uniformes. Sa première série s’appelait « Faire face », car pour lui, la rencontre du photographe et du modèle se cristallise dans une confrontation distancée en surface comme pour mieux apprécier l’épaisseur de l’être au monde et son appartenance au corps social. Faire corps et esprit de corps sont les ressorts de ces présences individuelles où la tenue, entendue à la fois comme pose et vêtement, matérialisent le « physique de l’emploi » ou « l’habit du moine ».
(Didier Mouchel)
La méthode du photographe
L’aspect uniforme, statique du dispositif photographique qui vise à neutraliser la présence du photographe pour privilégier l’enregistrement documentaire des sujets n’est qu’apparent. La qualité des cadrages, le choix des poses, le détail des mains ou des traits des visages, ainsi que l’importance accordée à la mise en situation restituent l’acui- té de la présence, l’adéquation entre la personne et un univers repéré pour ses codes et son inscription dans une société. L’exotisme y a sa part que ce soit à l’intérieur avec différents corps d’armées ou groupes sportifs, ou bien à l’extérieur à l’opéra de Pékin ou auprès de tribus africaines. Ceci renforce le jeu des différences et de l’altérité qui est un des principes des « portraits photographiques et uniformes ».
Dans ses projets, Charles Fréger décline un vocabulaire photographique précis constitué de cadrages centrés sou- vent frontaux, en pied, en buste ou serrés. La transparence de l’éclairage, la neutralité de l’expression ainsi que la statique de l’image, cependant attentive à la qualité des grains de peau et à la texture des vêtements, suggèrent une référence aux portraits peints par les maîtres anciens.
(Didier Mouchel)
(...)Charles Fréger élimine de la scène tout décor inutile. L’économie des moyens employés révèle la détermination de son approche. Ses modèles sont pris en vision frontale, sans effet, devant un fond uni.
(L’objectivité des apparences, par Philippe Arbaïzar Texte paru dans la préface de l’ouvrage Portraits et uniformes, éditions 779/SFP, 2001)
L’individu et le groupe
Ces images semblent pointer une question simple : qu’est-ce qui nous rassemble ? Car chaque suite, à travers ses figures individuelles, est un portrait de groupe. à chaque reprise, le photographe se demande et indique ce qui réunit les individus, ce qu’ils ont en commun ? Cela tient effectivement à quelques signes émis par la société. Le corps devient en quelque sorte un porte-enseigne ; il se tient à l’articulation du subjectif et de la communauté. Toute société est faite de mimétisme, de tropismes, d’instincts grégaires ; une cravate, une charlotte, un duffle-coat suffisent pour qu’on se reconnaisse. Une tribu tient par ces détails qu’elle exhibe, change et échange, par ces rituels.
(L’objectivité des apparences, par Philippe Arbaïzar, préface de l’ouvrage Portraits et uniformes, éditions 779/SFP, 2001)
L’Homme sauvage, connu en anglais sous le nom de Wild Man et en allemand sous celui de Wilder Mann est, selon la légende, le fils issu de l’union d’un ours et d’une femme. Appartenant à deux mondes et en connaissant les arcanes, cet être mythique est considéré comme un « surhomme », destiné aux plus hautes charges du pouvoir ; de nombreuses familles du Moyen Age se sont d’ailleurs choisi comme aïeul l’un de ces légendaires êtres hybrides. Le plus souvent, l’Homme sauvage est vêtu d’un costume réalisé en matières naturelles ou en peau animale ; son visage est rendu méconnaissable, soit par un masque, un costume qui le recouvre intégralement ou encore un gri- mage noir. Un accessoire – bâton, massue ou autre – et une ou plusieurs cloches complètent la tenue. Leur poids, pouvant atteindre les 40 kilos, souligne la virilité et la force du personnage. Ces cloches ainsi que les matières végétales et animales de son costume, rattachent l’Homme sauvage à ses origines naturelles. Il incarne le lien complexe d’amour et de haine qu’entretient l’homme avec son environnement.
(extrait du texte Homme sauvage et traditions masquées en Europe dans le livre Wilder Mann ou la figure du sauvage, de Charles Fréger, éditions Thames & Hudson, 2012)
Photographies et vignette © Charles Fréger