Enfants regardant des cerfs-volants, Shakhari Bazar, 2004 © Munem Wasif/Agence Vu, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
Galerie Clémentine de la Féronnière 51, rue saint-Louis-en-l'île (2nde cour) 75004 Paris France
Old Dhaka, le vieux Dhaka historique, est pour moi un non-sujet. Il m’entoure tout entier. Je vis ici. Cela revient à essayer de raconter l’invisible dans la vie de tous les jours.
Old Dhaka m’a fait apprécier la bonne cuisine grasse et la fantaisie de l’argot, et c’est de là que je suis parti pour découvrir le pouls de cette ville qui s’accroche aux choses plutôt que de les laisser aller. Mon enfance à Comilla, une ville provinciale dans une région essentiellement rurale, figée dans les traditions et un mode de vie à l’ancienne, m’a transmis l’harmonie avec les liens fondés sur le temps qui passe, l’évolution plutôt que sur la nouveauté. Pourtant, au fil des images, Old Dhaka m’a dévoilé des vies cachées qui m’ont ouvert à des questions beaucoup plus douloureuses sur l’assimi- lation, la disparition, les appartenances, les traces.
Mes yeux se sont ouverts et ce monde banal et familial s’est ramifié en un réseau complexe de tra- ditions ancestrales. Les fêtes, telle que celle de Holi célébrée somptueusement à Shakhari Bazar, qui m’avait toujours semblé se résumer au seul plaisir de se jeter des pigments de couleur les uns aux autres, prirent tout leur sens d’appartenance, de continuité spirituelle et de renaissance. Les construc- tions anciennes, le spectacle banal des mères baignant leurs enfants dans une petite cour, des vieux chevaux fatigués tirant des voitures — qui ont cessé depuis longtemps d’être un « réel » moyen de transport —, deviennent les éléments d’une matrice où vivre est synonyme de construire sur ce qui existe, sans supprimer les structures, les coutumes, les modes de vie mis en place au cours des siècles. Cela m’a pris du temps, mais au long des mouvements et des destructions, j’ai compris pourquoi des gens comme Sumitra Debi, cette femme de Bonogram, tenaient tant à ce que leurs maisons et leurs quartiers restent en place. Il ne s’agit pas seulement d’une bâtisse, mais bien de soixante années écou- lées sur cette terre. C’est le temps et c’est la vie qui respirent avec le bâti, et leur conscience collective composent les fragments d’un tout.
Des mots tels que famille, tradition, appartenance, traces signifient beaucoup ici. En réalité, c’est ce qui tisse le lien. Tel l’éther, l’âme de l’évolution commune ne saurait être touchée ou vue. Elle est vécue. Old Dhaka a cessé d’exister seulement comme un lieu.
Munem Wasif
Salon de coiffure en plein air sur les berges, Buriganga, 2005 © Munem Wasif/Agence Vu, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
Baignade à Buriganga, Babubazar, 2008 © Munem Wasif/Agence Vu, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
En grandissant dans la petite ville de Comilla, au Bangladesh, Munem Wasif rêvait de devenir pilote, joueur de cricket puis... photographe. Aucun de ces choix n’enchantaient vraiment son père. Plus tard, il partit pour la grande ville de Dhaka. Sa vie prit un tournant majeur pendant ses études à la Pathshala, où il développa une attention aux histoires et se dota par la photographie d’une voix qu’il utilisa pour raconter l’industrie déclinante et la douleur des travailleurs, les exclus et les contrées déchirées par les changements climatiques, et une ville empreinte d’un amour nostalgique : Dhaka.
Wasif photographie son peuple, son pays du Bangladesh, au cœur de l’histoire. Il ne se défend pas d’être un conteur de traditions humanistes, classique dans son approche photographique, tant qu’il peut transmettre son expérience émotionnelle entretenue avec le sujet. Emprunt du style narratif traditionnel, il prend le contrepied des clichés, et quand il perd le contrôle de l’histoire, il s’autorise à marcher dans des directions différentes, telles les branches d’un arbre, dont les racines naîtraient d’un manifeste humaniste.
Photographe documentaire représenté par l’agence Vu depuis 2008, ses travaux ont été publiés dans la presse internationale à l’instar du Monde 2, The Sunday Times Magazine, The Guardian, Poli- tiken, Io Donna, Mare, Du, Days Japan, Libération, Courier International, Photo, British Journal of Photography, Lens Culture... Il a remporté la commande du prix Pictet en 2009, le F25 International Award For Concerned Photography de la Fabrica en 2008, ainsi que le prix du jeune reporter de la ville de Perpignan dans le cadre de Visa pour l’Image la même année, et le Joop Swart Masterclass en 2007. Son travail a été présenté partout dans le monde, notamment en Suisse au Musée de l’Élysée et au Fotomuseum de Winterthur, aux Pays-Bas au Kunsthal museum, au festival Noorderlicht, au Cambodge à Angkor Photo et à Photo Phonm Phen, au Royaume-Uni à la Whitechappel Gallery, en France au Palais de Tokyo et à Visa pour l’Image, et enfin à Chobi Mela au Bangladesh.
Né au Bangladesh en 1983, Munem Wasif enseigne actuellement la photographie à la Pathshala, South Asian Media Institute.
Famille réunie pour la fête de Holi, Shakhari Bazar, 2006 © Munem Wasif/Agence Vu, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
Bimol Da préparant le poisson, Beauty Boarding, Shirish Das Lane, 2011 © Munem Wasif/Agence Vu, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière
Livre à paraître en septembre 2013
Éditions Clémentine de la Féronnière
Préface de Christian Caujolle
160 pages - 16,8 x 21,8 cm Bilingue français/anglais
ISBN 978-2-9542266-1-3
Prix TTC 36 euros
Photographies et vignette © Munem Wasif