© Denis Rouvre
Hélène Bailly gallery 38, rue de Seine 75006 Paris France
Denis Rouvre a passé trois semaines en Nouvelle Calédonie dont quinze jours dans les tribus. Lors de son immersion il a pu photographier treize tribus, autant de visages, que de corps de chasseurs, de pêcheurs ou de guerriers...
Une nouvelle fois le photographe a su laisser s’exprimer la beauté de ces visages si proches et en même temps si loin de nous tant par leurs regards que par leurs attitudes.
Ces tirages ont le pouvoir d’exprimer la force de ce peuple et nous transmettent une indescriptible émotion.
*Kanaka en hawaïen signifie homme libre.
*Le terme Kanak est emprunté aux langues polynésiennes ; il fut utilisé par les équipages tongies et tahitiens des premiers navigateurs européens pour désigner les habitants des îles mélanésiennes » (Bensa 1995) avec une connotation péjorative. Son usage alterna par la suite avec celui de « Mélanésien » jusqu’à ce que les indépendantistes fissent du terme « Kanak » utilisé dans sa forme invariable, une véritable revendication politique et une affirmation militante de leur singularité. Les accords de Matignon- Oudinot de 1988 traitent encore de la situation des «Mélanésiens », mais ils créent cependant une « Agence de développement de la Culture Kanak ». Et dans l’accord de Nouméa, dix ans plus tard, on n’utilise plus que le terme « Kanak ». (Source : Unesco)
DENIS ROUVRE ‘Kanak’ par Natacha Wolinski
L’art de la guerre commence avec l’affirmation d’un regard. Résister, c’est ne pas baisser les yeux. Depuis l’autre bout du monde, depuis l’autre bout de la France, depuis la commune de Canala, à trente kilomètres au nord de Nouméa, Toawani Tonchane,
Basile Kaitchou, Toawani Moasadi, Franck Tomedi, Ezekia Diake nous regardent dans les yeux. Ils se présentent face à l’objectif du photographe. Ils se présentent face à nous. On ne voit pas leurs corps mais on les devine fichés en terre, ancrés dans un sol dont jamais on ne pourra les déraciner. Ils sont fils et filles de la terre kanak. Ils sont de la tribu des irréductibles, de Gelima, de Nonhoué, de Nakety, de Neho... Leurs visages ont les couleurs de l’argile séché et du bois. Leurs cheveux sont de broussailles. Ce sont des hommes et des femmes paysages. La lumière du photographe accuse les reliefs et les aspérités de leurs gueules rudes de pêcheurs, d’agriculteurs, de soutiers de la mine. Elle épouse le grain et les sillons de la peau. Elle prend acte du voltage intense des pupilles. Il y a de l’arrogance dans ces prunelles chargées au noir. Des braises de tristesse aussi. Une larme d’amertume. Le noir de la violence et des exploits indépendantistes est passé, mais ces regards portent encore le flambeau d’une inflexible insularité. Ces hommes et ces femmes sont les fils et les filles d’un monde révolu qu’ils s’acharnent à faire perdurer. lIs vivent à cheval entre le passé et le présent, chevaliers d’un monde coutumier qui les a vus naître, et qui, avant eux, a vu naître leurs aînés, leurs ancêtres, leur dieux familiers. Ils s’accrochent à la tradition sans être assurés de pouvoir toujours la préserver. La brutalité de leurs traits corrobore la brutalité de la vie et de l’histoire. Les vieux sont fracassés. Les jeunes sont revendicatifs. Les valeurs des uns ne coïncident plus forcément avec celles des autres. Ils sont de Canala et d’outremer. Ils sont rebelles et vaincus. Héros et renégats. Solidaires et claniques. Enracinés et sans repères. Ils nous regardent depuis les lointains. Nous les voyons pour la première fois.