© Hicham Gardaf, Tangier Diaries
Galerie 127 Marrakech 127, avenue Mohamed V Marrakech Maroc
La galerie 127 est heureuse de présenter du 1er au 23 novembre 2013, les oeuvres du plus jeune photographe auteur marocain Hicham Gardaf.
Né à Tanger, il est un des rares photographes de sa génération à utiliser l’acte photographique pour enquêter sur son rapport intime au monde qui l’entoure.
Tangier Diaries et Cafés, deux séries, respectivement en noir et blanc et en couleur, feront l’objet d’une exposition intitulée « Extimacy ».
C’est à Yvon Langue, étudiant à l’ESAV de Marrakech qu’il revient de réfléchir à haute voix sur les images d’Hicham Gardaf .
Yvon langue accompagne notamment l’identité graphique de la galerie 127 depuis un an. Il interroge la littérature, la photographie et l’art dans ses multiples représentations.
Nathalie Locatelli
« Extimacy »
Lors de ma première rencontre avec Hicham Gardaf, j’avais, sans trop réfléchir, évoqué l’idée d’« aura », pour qualifier l’atmosphère qui cerne ses photographies. Par-delà cette facilité vocabulaire, une attention plus soutenue à l’œuvre générale m’aura permis de préciser mon jugement.
L’exposition Extimacy regroupe deux séries : Tangier Diaries et Cafes. La première remonte à ses débuts en photographie, en 2010. L’approche y est ouvertement intimiste. Tandis que les photographies de cafés, elles, ont été réalisées pour la première fois dans le cadre d’un projet présenté au Percolateur, à Marseille. La force d’une idée motrice et objectivée y est plus sensible ; certaines photographies ressemblent à des révélations tant sur l’authenticité que sur l’éternité de ces mythiques cafés tangérois.
Je me suis demandé comment qualifier le style en émergence d’ Hicham Gardaf, comment ses images articulaient sa propre question. Une œuvre me sert, ici, de point d’ancrage: ce portrait aux yeux fermés de son cousin Ismaël, où un clair-obscur maîtrisé sculpte les masses du torse montré nu. Habile mélange de force et de fragilité ; sumo timide et invisible... Dans le jeu d’enfant du cache-cache, les plus
jeunes, sûrs de leur stratégie, se couvrent parfois les yeux énergiquement pour ne pas être vus, sans bouger. Il s’agit de la transposition naïve de leur obscurité à celle du monde. Si l’enfant ne voit pas le monde, le monde ne le voit pas, il n’existe même pas. De même, le photographe crée le(s) monde(s) au gré de son optique – au double sens d’objectif photographique et de décision d’obturation, de matériel photographique et de choix de prise de vue. L’appareil photographique devient un appendice de l’artiste, la prolongation prothétique de son propre œil, comme dans le film L’homme à la camera de Dziga Vertov.
© Hicham Gardaf, Cafés
Il se trouve aussi qu’univers personnel et univers photographique se confondent chez Hicham Gardaf. Voyez- le tenir son appareil photographique, connaître ou omettre l’autre en aval de l’acte photographique. Sa toute première exposition individuelle Eye on a City (litt. «Œil sur une ville») portait bien son nom. «Je souhaitais, dit-il, me rapprocher des gens de mon quartier. La photographie reflète ma relation avec le monde, à travers différentes visions ».
Toutefois, Hicham Gardaf ne fait qu’effleurer la question de la proximité ou bien, doit-on dire, qu’il ne l’envisage que partiellement. Dans ses images les temps se confondent, répondant à l’imaginaire exclusif de l’artiste. De même, l’écart qui sépare chez lui l’objet photographié du sujet photographiant disparaît. Gardaf n’interroge le monde que tel qu’il l’invente.
C’est du point de vue affectif que l’œuvre prend forme et sens. Ses images chuchotent tout au plus. Elles sont par ailleurs implacablement silencieuses. La suspension y est comme exagérée. Rumeurs et tintements semblent eux- mêmes étouffés dans ses cafés tangérois. La couleur n’y fait rien, tandis que le noir et blanc le renforce. Ce silence, ce... vide est le propre de l’instant de contemplation en lequel Gardaf investit tout ou presque. Fût-il narrateur, qu’il parlerait par phrases courtes, séparées de longues pauses, à voix basse, articulant comme le velours des mots soigneusement choisis. Les autres regardeurs et moi-même sommes donc en porte-à-faux, devant l’énigmatique silence qui cerne ces photographies, entre leurs susurrements et la solitude de notre regard.
© Hicham Gardaf, Cafés
Tout l’art de Gardaf réside en conséquence dans une disposition au ravissement, par l’énigme silencieusement menée. « Une photographie est un secret qui nous parle d’un secret, disait Diane Arbus. Plus elle paraît explicite, moins nous sommes éclairés ». Ici, la photographie est bien un art, d’une part parce qu’elle nous met devant l’intarissable imaginaire d’un créateur, libérant notre propre exaltation ; et d’autre part parce que l’émotion suscitée renvoie à l’émotion originaire de l’artiste, celle qui présidait à la création. Gardaf - pour qui le sens de la photographie vient de son pouvoir d’émotion - pratique l’art au sens où l’entendait Heidegger: «l’œuvre ouvre un monde et maintient celui- ci en son ordonnante amplitude. Etre œuvre signifie donc installer un monde ».
Mais qu’est-ce donc que montrer les œuvres d’ Hicham Gardaf ?
Il se trouve qu’une grande liberté cerne les choix de l’autodidacte, ce qui rend particulièrement séduisant l’observation de la construction de son style. Hicham Gardaf en vient à la photographie en regardant, dans un livre, les images de l’Agence Magnum. Sa démarche en est fondamentalement marquée : il a développé une inclination pour préserver l’authenticité du procédé photographique de l’époque moderne, délaissant la photographie numérique de ses premiers essais pour la photographie argentique ; le noir et blanc soutient la composition pour produire de l’émotion comme chez Henri-Cartier Bresson ou chez Josef Koudelka ; et quand il use de couleur, il la rêve toute éclatante, comme chez Harry Gruyaert. Nous sommes en présence d’un style en émergence et conscient de sa propre maturation. Le sien se fait par juxtaposition de choix esthétiques et techniques, proposés ensuite en partage au récepteur. C’est l’émotion de son propre cheminement qu’il communique. Pour Gardaf, « la mémoire picturale constitue notre parcours personnel. La vie est le fruit de choix découlant de nos parcours. La photographie ressemble beaucoup à la vie. Une bonne photo est un bon choix. »
© Hicham Gardaf, Cafés
Cette métaphorisation de l’acte photographique comme acte de facture et de choix conforte le rôle de l’image dans la détermination du monde. Or, créer un monde c’est le peupler, c’est en créer les conditions de l’existence. Celui de Gardaf reflète son parcours intime d’humain. Ce qu’il a bien en partage avec le regardeur. L’intime et l’humain. C’est pourquoi dans le passage de Tangier Diaries à Cafes, on a le sentiment d’une navigation de l’un à l’autre. De l’intime à l’humain. C’est pourquoi la proximité émotionnelle semble si importante. L’intimité figurée dans ses images résonne chez le récepteur. Double processus psychique d’identification de soi à l’autre et de l’autre à soi. Muni de son appareil, c’est l’autrui, le proche, le similaire que vise Hicham Gardaf. Il est le photographe de l’identique.
Ainsi, l’œuvre d’Hicham Gardaf, n’évoque qu’une certaine esthétique de la proximité sans s’y fixer. Elle structure à ses fins de créateur un imaginaire qu’il met en partage et me rappelle subtilement la notion d’« extimité » développée par Serge Tisseron. L’extimité est le désir de rendre visible des aspects de soi relevant de l’intimité, sans toutefois sombrer dans l’exhibitionnisme. L’image photographique est en la matière, un outil puissant d’exploration des limites et des épanchements de l’intime. Voilà ce qu’interroge Gardaf. Voilà ce qu’il explore.
Assistons-nous là à une recherche du sens original du mot «esthétique», à savoir émotion partagée ? Assistons-nous à une esthétique de l’extimité ?
Yvon langue
École supérieure des arts visuels Marrakeh