© Colin Delfosse
FOCALE - Association pour la photographie 4, Place du Château 1260 Nyon Suisse
Kinshasa est une tempête sur un lac de lave. Alpagués par les fonctionnaires et les porteurs, ceux qui posent leurs valises à l’aéroport de Ngili le découvrent en moins d’une minute. La clameur kinoise a quelque chose d’étourdissant. Et de sidérant. Les catcheurs congolais sont l’émanation la plus vive de cette folie quotidienne.
Dans les faubourgs de cette métropole de presque 10 millions d’habitants, Edingwe, Dragon, City Train, Mabokotomo, les légendes du catch congolais se réinventent tous les jours. Amateurs de culturisme ou de magie noire, ils se disputent la gloire sur des rings de fortune. Bien souvent issus de la rue, leur charisme forge respect et admiration ; deux atouts majeurs dans Kinshasa la belle.
Ces hommes, chauffeurs de taxis, vendeurs à la sauvette ou pour les plus chanceux, gardes du corps, sont les nouveaux héros de la nuit kinoise. Héros, qui ont grandi dans la débrouille congolaise et tentent d’améliorer leur ordinaire par la lutte. Aux dernières heures du jour, après avoir raccroché de leurs occupations quotidiennes, ils revêtent masques et tenues pour défier ceux qui, comme eux, ont soif de gloire.
Le catch congolais est l’un des sports les plus étranges et décalés de la planète. Mélangeant fétiches et techniques de combat, il ne ressemble à aucune autre discipline. Apparu dans les années 60-70, il fait son entrée en République démocratique du Congo (RDC) par la fenêtre télévisuelle. Alors très populaires, les catchs américains et européens sont largement diffusés sur la RTNC (télévision nationale). Dans la capitale congolaise, fraîchement rebaptisée Kinshasa, le public s’intéresse de près à ce nouveau sport. Le gala international de Catch organisé dans l’ancienne Leopoldville à la fin des années 60 remporte bien vite les suffrages.
Ninja © Colin Delfosse
L’imagination sans bornes des Kinois transforme ce sport de technique de lutte en un combat de féticheurs. Bientôt, les gris-gris deviennent essentiels pour vaincre un adversaire. Au son de Edingwe, Edingwe, moto na ngenge (Edingwe, l’homme tout puissant), le héros nouvellement promu arrache les tripes de son adversaire et les avale devant un public tétanisé. Ainsi naît le catch congolais qui deviendra, quelques années plus tard, le catch zaïrois. Les héros d’aujourd’hui sont les élèves de ceux d’hier : techniques et fétiches sont transmis par les maîtres. Les costumes sont souvent inspirés, voire copiés de cet âge d’or où l’on trouvait Kele Kele, Botowamungu, Ndonda Puma Noir, Police Belge, ou le grand Edingwe sur le ring.
Peu de traces subsistent de cette époque, mais la filiation est telle que l’on peut dresser des typologies de catcheurs : le fou enchaîné, le sorcier traditionnel, l’androgyne, le monsieur muscle ou encore le combat- tant masqué sont les caractères principaux de cet étrange théâtre congolais, mais leurs déclinaisons sont évidemment infinies.
Les racines du projet
C’est à Kolwezi (RDC) en 2007, que naît ce projet. Colin Delfosse est alors en reportage dans cette an- cienne cité coloniale du Katanga, connue pour ses gigantesques gisements de cuivre et de cobalt. Les activités publiques se font rares, et un soir, alors qu’il rentre des mines il tombe sur un groupe de catcheurs qui parade au milieu de la ville. Perchés sur le toit d’une improbable carriole, des hommes aux corps couverts de talc dansent au son de la fanfare assise sur le capot de la voiture. Une foule s’agglutine pour regarder le spectacle. Après avoir assisté à ce moment, le photographe décide de s’intéresser à ce sport fascinant et méconnu. J’ai tout de suite pensé qu’il donnerait à voir un coté plus optimiste de ce pays connu sur le plan mondial pour ses richesses minières, ses guerres à répétitions et les atrocités qui y sont liées, explique t-il.
Guerrier Masseke © Colin Delfosse
De retour à Kinshasa quelques mois plus tard, Colin Delfosse entame alors la lente prospection pour retrouver les catcheurs féticheurs. Après un travail de deux semaines dans les communes de Matete, Ngili et Masina, il réalise qu’il faudra du temps pour achever ce projet. Trois ans et trois voyages plus tard, les Sorciers du Ring commencent à être publiés dans la presse.
Chaque passage dans la capitale congolaise donne l’occasion de continuer le projet et d’étoffer la galerie de portraits. Sans être exhaustive, elle reprend désormais les catcheurs les plus connus de Kinshasa.
Photos et vignette © Colin Delfosse