© Charles Fréger
Musée d'art de Toulon 113, boulevard Général Leclerc 83 000 Toulon France
1998, Rouen, Charles Fréger réalise les portraits photographiques de marins d’un bateau de l’armée nationale. Le marin sera le tout premier sujet de lui qui entre alors en photographie. Au cours des quinze années suivantes, la chose militaire se révèlera un leitmotiv dans l’œuvre de l’artiste, revenant à intervalles réguliers : il y aura les marins de Finlande(Merisotakoulu), les ouvriers et les marins de l’arsenal de Cherbourg, les légionnaires, jusqu’à ce tour d’Europe des gardes républicaines qu’il regroupe dans le corpus Empire. Avec Outremer, Charles Fréger poursuit son exploration du corps militaire, s’attardant désormais sur la marine nationale et l’infanterie de marine.
Aux légionnaires, cette fois photographiés sur les terres volcaniques de Djibouti, s’adjoignent les officiers de marine de Toulon et ceux de Nouméa. Éblouissement du sable de la plage, odeur d’embruns du port, chaleur écrasante du désert : au-delà de l’uniforme, c’est la notion de déplacement, des hommes et des esprits, et in fine d’exotisme que l’artiste met en image. Il affirme ainsi le déploiement de sa démarche artistique, attestée de manière si patente avec son dernier projet d’envergure, Wilder Mann : un déploiement par lequel Charles Fréger dépasse définitivement le cadre strict de l’uniforme qui s’affirme de plus en plus au sein de sa pratique comme un point de départ, une toile sur laquelle l’artiste vient broder sa propre imagerie.
Le vêtement est seconde peau, «peau» parce que l’individu le fait sien, «seconde» parce qu’il revêt avec lui un autre soi, le vêtement donc comme un espace de projection de soi dans un ailleurs, historique, géographique ou culturel. Dans cet ailleurs, l’artiste s’y est lui-même projeté, fabricant ses propres uniformes (de garde républicain lors de son projet Empire, ou encore de personnage du théâtre chinois lors d’un projet mené au théâtre de Pékin). Avec Outremer, approfondissant le sillage tracé par Wilder Mann, l’artiste emmène son désir au-delà du vêtement et de la communauté dont il est l’emblème, pour le déployer dans le champ de l’image et l’embrasser toute entière. Modèle, uniforme, mais aussi environnement, couleur, espace, sont pris en main et orchestrés jusqu’à rencontrer l’image mentale et donner corps à la vue de l’esprit.
Le projet démarré à Toulon, extrémité australe qui pointe vers cet ailleurs fantasmé, se dirige ensuite vers l’objet du désir, l’Afrique puis l’Océanie, faisant halte, comme un contrepoint à ces grands horizons, dans les intérieurs incandescents et calfeutrés du porte-avion Charles de Gaulle. Par ce projet, c’est la notion d’exotisme, dans son acception généreuse, entendue au sens de l’altérité, du Divers, que l’artiste aborde. C’est Victor Segalen, médecin de la marine affecté en Polynésie française, écrivain, ethnologue, qui débarrassera au début du XXe siècle la notion de tous ses clichés pour redéfinir l’exotisme comme l’appréciation de la distance entre soi et le Divers, il ne serait donc pas une recherche d’assimilation, mais une délectation de la différence dont se nourrit le désir. Il n’est pas de hasard à ce que la marine va et vienne dans les sujets de l’artiste : entre ces marins et leur Ailleurs, il y a la mer, d’un bleu profond, ces mêmes eaux dans lesquelles le photographe navigue, poursuivant, le désir tenace, sa Baleine blanche.
Charles Fréger a intitulé le projet Outremer, en un seul mot comme la couleur ; un adjectif qui, pour désigner une qualité de profondeur, renvoie à l’« au-delà des mers » et dans cet au-delà, les sirènes vahinés dansent, comme dans l’installation vidéo de l’artiste, qui dans l’espace d’exposition, répondra aux portraits.
Raphaëlle Stopin, juin 2013.
BIOGRAPHIE
Auteur de séries photographiques explorant la place de l’individu dans la communauté qu’il s’est choisie (qu’elle soit équipe de water-polo, régiment de marine, ou classe d’écoles techniques), Charles Fréger a dressé au cours des quinze dernières années un panorama de la survivance et de la vitalité des «tribus» à l’ère contemporaine. Le portrait, tel qu’il le conçoit et le pratique, est empreint tant d’une objectivité anthropologique que d’une vision poétique : dans le cadre de la communauté, surgit toujours l’individualité, au détour d’une expression, d’une posture, d’une couleur, et enfin de l’appropriation par chacun de son uniforme.
Diplômé des beaux-arts de Rouen, Charles Fréger expose au cours de l’année 2013 au FoMu (Anvers), au MacVal, à la galerie Yossi Milo (NY) et à la galerie Hermès (NY, Berne) sa série Wilder Mann consacrée aux représentations de l’homme sauvage à travers l’Europe. Une rétrospective de ses portraits photographiques et uniformes a été organisée en 2012 au Centre Photographique de Cherbourg, et est actuellement présentée au Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône. L’artiste est par ailleurs fondateur du réseau artistique international Piece of Cake.Outremer est issu de la résidence de Charles Fréger à la villa Noailles et marque la troisième collaboration de l’artiste avec la villa, après Trampoline (2003), un travail réalisé dans le cadre du Festival International de Mode et de Photographie et Les Fleurs du Paradis (2005-2007), projet consacré au maraîchage et à l’horticulture dans la ville d’Hyères.
Cette exposition est présentée en écho à la Tall Ships Regatta qui aura lieu à Toulon du 27 au 30 septembre 2013. Une cinquantaine de voiliers parmi les plus grands du monde seront rassemblés dans la rade de Toulon. Pour plus de renseignements, consultez le site www.toulonvoilesdelegende.fr