© Delphine Schacher
« Je m’intéresse à la Roumanie depuis mon enfance, ayant été touchée par le récit de voyage de mon père, qui s’y était rendu en 1991 après la chute du régime de Ceausescu.
Vingt ans après, j’y suis allée à mon tour afin d’y réaliser une première série de portraits et d’images de lieux intitu- lée Passé recomposé, dont le principe était de retrouver les lieux et personnes photographiés lors de son voyage et de reproduire les mêmes images. Il s’agissait dès lors d’une démarche documentaire qui correspond à ma façon de travailler habituellement.
En automne 2012, je suis retournée dans l’un des villages visités auparavant, Bradut, en Transylvanie, afin cette fois-ci d’y élaborer un projet photographique sur un mode différent dans mon parcours, puisqu’il s’agissait de jouer sur des portraits mis en scène tout en me servant de la réalité.
Dans "Une petite robe de fête", il est question de campagne, d’innocence, de regards, d’attente, de mélancolie. C’est un travail présentant une série de portraits de jeunes filles, se situant à mi-chemin entre documentaire et poésie, une forme de conte visuel ayant pour thème principal l’enfance et la fragilité de cette période éphémère.
À l’occasion de ce deuxième projet photographique réalisé dans ce petit village, j’avais envie d’œuvrer différemment. Je souhaitais photographier de façon plus réfléchie en façonnant la construction d’un scénario qui me soit plus person- nel. J’ai alors emporté des vêtements de fête qui me permettraient d’affiner mon regard sur ces jeunes filles, de créer un décalage entre leur âge, leur environnement et leur tenue et pouvant alors mener à un jeu de tension perceptible entre douceur et rusticité, ainsi qu’entre ombre et lumière.
Au travers de ce travail, je désirais également explorer un style qui ne s’apparente pas à une démarche purement documentaire, mais plutôt à un récit poétique et métaphorique autorisant une liberté de narration dans mes images et laissant place à une interprétation qui ne se rattache pas uniquement au réel des personnages photographiés, mais plutôt à nos émotions face aux images.
Mon fil conducteur fût principalement l’alchimie entre les fillettes et la lumière naturelle, mais j’ai également décidé de mettre les portraits en parallèle avec des images de leur environnement, qu’il soit naturel ou matériel, permettant à la fois d’illustrer les traces du passé et le décor dans lequel elles évoluent et grandissent.
Ainsi, les portraits se mélangent aux images d’une Roumanie imprégnée de son passé. Elles permettent de la dévoiler à nos yeux comme marquée et fragile, mais aussi comme avançant au présent, tout en vivant dans l’ombre de son histoire, à l’image de l’adulte ayant fait ses premiers pas hors de l’enfance et qui doit alors commencer à mourir un peu pour reprendre les mots de Christian Bobin. "Une petite robe de fête" lance alors le dernier bal de ces instants de grâce uniques et éphémères voués à s’éclipser. »
Delphine Schacher
© Delphine Schacher
« On fait quelques pas hors de l’enfance puis très vite on s’arrête.
On est comme un poisson sur le sable.
On est comme celui qui piétine dans sa mort.
Un adulte.
On attend.
On attend jusqu’à ce que l’attente se délivre d’elle même,
jusqu’à l’équivalence d’attendre de dormir ou de mourir.
L’amour commence là. Dans les fonds du désert.
Il est invisible dans ses débuts, indiscernable dans son visage.
D’abord on ne voit rien.
On voit qu’il avance, c’est tout.
Il avance vers lui-même, vers son propre couronnement.
Avec le regard simple, revient la force pure. »
Christian Bobin, extrait de Une petite robe de fête, 1991.
© Delphine Schacher