La liberté, 1951 : © Sabine Weiss, La Liberté, 1951
Base sous-marine de Bordeaux Boulevard Alfred Daney 33000 Bordeaux France
Du 6 septembre au 13 octobre 2013, la Base sous-marine présente Instants fugaces, une exposition photographique consacrée à l’œuvre de Sabine Weiss. Photographe humaniste, elle aime photographier les gens dans leur vie quotidienne et fixer leurs émotions dans ses photographies.
Sabine Weiss est née en Suisse en 1924. De 1942 à 1945, elle fait son apprentissage de photographe chez Boissonnas à Genève. En 1946, elle s’installe à Paris, et devient l’assistante du célèbre photographe de mode Willy Maywald. À partir des années 1950, elle devient photographe indépendante. En 1952, elle intègre l’agence Rapho. En tant que reporter, elle collaborera à de nombreuses revues parmi les plus renommées aux États-Unis et en Europe, Match, Life, Newsweek, Fortune, Times, News and Country, Holiday, European Travel and Life, Esquire.. Sa participation, en 1955, à l’exposition The Family of man, conçue par Edward Steichen au MoMA de New York, scelle son appartenance au courant de la photographie humaniste. Sabine Weiss est l’une des seules femmes photographes à avoir réussi, dans les années 50, à vivre de son métier et de son art. En marge des images qu'elle réalise pour la presse, Sabine Weiss photographie ce qu'elle aime, visages, scènes de la vie quotidienne, atmosphères. Ce sont ces clichés qui feront le tour du monde.
Sabine Weiss a arpenté les rues des plus grandes villes du monde à la recherche d’instants volés et de scènes hors du temps. Ce sont ces instants fragiles d’une lumière, d’un mouvement, d’un regard, d’une attitude qui sont rassemblés dans les salles de la Base sous-marine. Chacun des 120 clichés noir et blanc grand format présentés recèle une histoire, une rencontre, un échange.
Si les portraits d’enfants de Sabine Weiss sont connus dans le monde entier, elle a également photographié la passion amoureuse et le bonheur d’être ensemble dans la complicité, avant d’aborder la question de la solitude et de l’aban- don. Au cours de ses voyages, elle s’intéresse aux questionnements des hommes dans leur rapport à la spiritualité. Tous les clichés de Sabine Weiss rendent compte d’une certaine atmosphère, notion clé de son travail.
Instants fugaces est la première grande exposition de Sabine Weiss en France depuis 2008. Ses images viennent d’être exposées récemment en Suisse et à Rio de Janeiro. Les clichés de Sabine Weiss figurent dans de nombreuses institutions internationales.
Le doute, 1952 : © Sabine Weiss, Le doute, 1952
Sabine Weiss ou la passion de l’humain
Rattachée au courant de la photographie humaniste à l’instar de Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson ou Willy Ronis, elle place l’humain, comme tous ces photographes, au centre de ses préoccupations.
C’est dans l’immédiat après-guerre que toute cette génération de photographes va prendre essor et se lancer dans le repor- tage sur le vif, aidés techniquement par la naissance du Leica et celle du Rolleiflex, appareils légers, rapides en action. La photographie humaniste est imprégnée de cette vision unani- miste et universaliste de l’après-guerre. Leurs photos reflètent l’atmosphère optimiste de cette époque.
« Si les photographes actuels nous trouvent un peu sentimentaux, je crois que c’est parce qu’à l’époque les gens étaient plutôt optimistes. Ils sortaient d’une grande épreuve et pensaient pouvoir rebâtir. C’était la belle période entre la fin de l’occupa- tion allemande et le début de l’américanisation. »
L’exposition The Family of man, conçue par Edward Steichen en 1955 pour le MoMA de New York, dresse un gigantesque portrait de l’humanité vue comme une grande famille. Cette exposition, à laquelle Sabine Weiss participe, va contribuer à ancrer une certaine image de la photographie dans la mémoire collective et établir la photographie humaniste comme courant artistique.
À sa manière, Sabine Weiss va s’inscrire dans ce courant photographique, exploitant notamment le vocabulaire privilégié des photographes de cette époque.
Rues sombres et mystérieuses, peuplées de silhouettes en contre-jour, effets de lumière sur les pavés humides, atmosphères pluvieuses, neigeuses ou brumeuses, la lumière et ses jeux de contrastes sont des paramètres essentiels. La ville et son catalogue d’expressions, de rires, de gestes et de postures sont le terrain favori des photographes. Le monde photographié est sans fard, sans mise en scène. Il s’agit pour les photographes humanistes de révéler la poésie cachée au cœur du réel le plus banal, de rendre sensible ce « merveilleux de la vie quotidienne ». Ils entendaient privilégier le fond sur la forme, se placer en posture d’enregistrement du réel en refusant tout artifice technique et autres manipulations en laboratoire.
Leurs choix de cadrage, de composition, leur travail sur la lumière sont toujours rigoureux et peu hasardeux, comme le rapporte Sabine Weiss : « Rarement je recadre au tirage. Je ne trafique rien en laboratoire. Je développe, j’agrandis, je répartis différemment les masses d’ombre et de lumière, je fonce, j’éclaircis, je laisse l’image venir... je ne trafique rien. »
Mais en regardant à nouveau ces images, nous sommes encouragés à nous demander quels enseignements nous pourrions en tirer pour notre propre approche de la photographie.
Sortie de métro, Paris, 1955 : © Sabine Weiss, Sortie de métro, Paris, 1955
L’exposition
« Je photographie pour conserver l’éphémère, fixer le hasard, garder en image ce qui va disparaître : gestes, attitudes, qui sont des témoignages de notre passage. L’appareil photo les ramasse, les fige au moment même où ils disparaissent. »
L’exposition Instants fugaces rassemble 120 photographies grand format noir et blanc, captées entre les années 1950 et 1990 dans le monde entier, avec la même soif de montrer l’autre tel qu’il est, sans mise en scène, la même empathie et la même pudeur à l’égard des sujets photographiés. Les images sont regroupées autour des 5 grands thèmes ayant guidé le parcours photographique de Sabine Weiss.
À travers les clichés exposés, on découvre des êtres saisis dans leur quotidien, car la démarche de Sabine Weiss consiste à « exprimer avec un minimum de moyens l’essentiel de l’homme. Ses photographies en noir et blanc témoignent de l’universalité et de l’intemporalité de la condition humaine. » Tout se joue au moment où Sabine Weiss déclenche, pour donner à voir les émotions pures, comme si le sujet photographié avait lâché prise avec la réalité un instant et se révélait, tombant le masque, dans son authenticité. Elle capte l’essentiel.
« Le photographe est lié à l’instant, cet instant fugace et merveilleux qu’il faut saisir tout en composant l’impact visuel de la photographie. »
Sabine Weiss aime aussi à se laisser surprendre par la spontanéité d’un enfant, l’audace ou la grâce de jeunes adolescents. Parce que le temps de l’enfance est synonyme d’insouciance, les portraits d’enfant que Sabine Weiss a faits ne trichent pas, ils sont troublants de franchise et de sincérité. Ses clichés ne sont jamais prémédités, les hommes et les femmes photographiés jamais orientés. Lorsque Sabine Weiss immortalise les étreintes passionnées des jeunes couples ou la douce complicité des époux, amoureux de toujours, elle s’attache à fixer les émotions profondes, au-delà de la composition. Ces images sont témoins d’un instant, fidèle à sa réalité poétique.
À la rencontre des laissés pour compte de la société, des personnes démunies, seules ou âgées, elle privilégie une approche compassionnelle. En osant ce contact, là où d’autres refusent de voir la misère ou préfèrent la mettre en scène, à défaut de savoir l’apprivoiser, elle dit tout son amour et sa foi en l’humain. L’importance de la lumière et des atmosphères urbaines constitue une grande partie du travail de Sabine Weiss. Les images sombres et vaporeuses d’hommes que seules les lumières de la ville éclairent en sont témoins.
Au cours de ses voyages, Sabine Weiss s’est également intéressée au rapport des hommes avec la spiritualité, réceptacle de leurs doutes et de leurs espérances.
À travers ces images, elle se pose en témoin de son temps. Si l’ensemble des photographies qu’elle réalise en dehors des commandes constituent ce qu’elle appelle parfois son « journal intime », elle a toujours eu à cœur de dénoncer les injustices sociales dont elle faisait le constat, avec la générosité de son rapport à l’autre, la tendresse et la bienveillance caractéristiques de son travail photographique.
Photos et vignette © Sabine Weiss