© Yan Morvan
Yan Morvan, photographe de guerre réputé, apprenait il y a quelques jours l’assignation en référé de son livre, Gangs story, le 10 juillet au tribunal de grande instance de Paris. L’auteur de cette plainte n’est autre que celui qui fut son model en 1987, le « petit Mathieu ».
Gangs Story est le fruit du travail du photoreporter et de Kizo l’Architekt, le livre ambitionne de dresser un portrait des gangs depuis les années 1950 jusqu'à nos jours. « Les trois premières parties étaient déjà faites et la dernière 2009-2012 réalisée avec Kizo s'est ajoutée aux autres » explique Yan Morvan lors d’une précédente rencontre.
C’est la seconde fois que « Petit Mathieu », aujourd’hui âgé de 43 ans, attaque un livre de Yan Morvan pour un cliché. L’avocat du plaignant explique que « assigné à l’époque, entre 2000 et 2002, il y avait déjà eu 3 décisions donnant raison à (son) client ». Ainsi, le 1er livre traitant des gangs avait été publié dépourvu du cliché litigieux et prémuni du bandeau de couverture « Interdit ». Mais 12 ans plus tard, le livre est publié réactualisé, et ce avec la photographie conflictuelle. Dès lors, le plaignant décide d’attaquer la nouvelle maison d’édition et le photographe « non pas pour faire interdire le livre, mais dans le but de retirer le cliché ». A la différence qu’aujourd’hui « il attaque également le Nouvel Observateur », nous confie Yan Morvan.
La photo en question est un cliché prit à Paris en 1987, le « Petit Mathieu » n'a alors que 17 ans. En possession d’un marteau et d’un pistolet d'alarme, il se tient dans une « chambre d’adolescent avec une propagande nazie » selon les mots de son avocat. En effet, derrière lui sont placardées des affiches des Jeux Olympiques de 1936 à Berlin, des JO très politiques puisqu’ils se déroulent sous le régime nazi en place depuis 1933. Une pochette de vinyle de style Oi dont le titre « Strenght Thru » était un jeu de mots avec un slogan nazi « Strength Through Joy » du nom de l’organisation de loisirs contrôlée par l'État nazi, « La force par la joie ». Parmi divers attributs du national socialisme.
Néanmoins, en 2013, le plaignant ressent un « sentiment d’acharnement du photographe » comme l’explique son avocat. Présentement, il plaide l’article 9 du code pénal, c’est à dire le droit à l’image et « c’est sur ce fondement qu’il a gagné son précèdent litige » ajoute-t-il. De plus, « il y a le droit à l’oubli qui vient s’ajouter au droit à l’image ». En effet, il affirme avoir « tourné le dos depuis plusieurs décennies à son passé ».
Cependant, Yan Morvan affirme que lors de la comparution le 10 juillet, il n’y avait « pas de pièce montrant une réelle nuisance ». Cela étant probablement dû au fait qu’il avait 17 ans à l’époque et qu’il est aujourd’hui méconnaissable estime le photographe. Ce avec quoi l’avocat est en désaccord, affirmant que l’homme « n’a physiquement pas changé et qu’il est encore très identifiable ».
L’avocat de la maison d’édition de Gangs Story, met en avant le fait qu’il s’agisse d’un livre d’Art. De plus, écrit par Kizo, la visée de cette nouvelle version est salutaire et c’est probablement cela qui lui vaut d’être soutenu par la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui écrivit pour la comparution un « papier qui loue le livre ». Mais à l’heure où les demandes de censure se multiplient, Yan Morvan estime que « c’est intéressant comme affaire », car « c’est l’affrontement de 2 droits nominatifs. Le droit à l’image et le droit à l’information ». Un véritable « match de boxe » selon lui. Le photographe explique « Je me suis représenté seul car je suis plus à même de parler de la photo et du devoir d’informer » qui est « de plus en plus difficile » ajoute-il. Le tout forme un procès avec « pas mal de pieces, et un juge embêté ». Celui-ci clôt la séance avec un : « Ce n’est pas simple ».
Le plaignant, au delà du Pardon et de la reconnaissance d’avoir changé, demande « une somme provisionnelle de réparation, que la photo soit retirée, ainsi que les négatifs » conclut l’avocat.
Qui du Droit à l’image ou du Droit à l’information obtiendra gain de cause ? La réponse le 26 juillet, le jour du jugement.
Laura Kotelnikoff Béart