© Chloé Meunier
« Trois jeunes photographes de Strasbourg et de Lyon, Guillaume Chauvin, Laureen Machu et Chloé Meunier.
Ils étaient trois. Partis de Strasbourg et de Lyon pour faire l’usage du monde. Ils ont voyagé en Russie et en Belgique. Homme et Femmes-dés qui, au détour de leurs pérégrinations, nous rapportent des hommages. Premiers hommages à cette fille aux yeux limpides dont le souffle glacé efface la fourrure de sa coiffe, à cet homme à la bouche ensoleillée. Guillaume Chauvin passe l’hiver en Sibérie, surpris dans un monde aux normes surréalistes, à la multi-nationalité insoupçonnée et à la rationalité singulière. Seconds hommages à cette femme au cœur gravé sur son bras, Carine, à sa collection de bébés. Laureen Machu arrive en Belgique. Dans une boulangerie, elle croise un reborn, poupée qui ressemble étonnement à un nourrisson. Elle entre alors dans des familles qui cherchent à redonner vie aux disparus. Derniers hommages à Marylin, aux yeux et au nez noirs et droits, à ses épaules anguleuses. Chloé Meunier part aussi en Belgique, elle arpente les rues et cherche des histoires. » - Céline Duval
« Reborn », une série photographique de Laureen Machu
De loin, une maman et son bébé. Une scène normale dans une boulangerie. Puis en y regardant de plus près, une femme et sa poupée. « Voici ma fille Sarah ». Le reborning ou l’art de créer un poupon en kit est parfois conseillé comme palliatif affectif. Illusion d’optique parfaite, l’objet ressemble à s’y méprendre à un vrai bébé. « Certaines en ont plusieurs, une collection, d’autres une ou deux. Toutes parlent de remplacement. Un enfant mort, l’enfant qu’elles n’ont pas eu, celui qui est parti parce qu’il a grandi, ou encore une poupée à chaque fois qu’un membre de la famille s’éteint. Ici, la photographie illustre un reportage. Elle accentue la confusion. Aucune différence entre la poupée inerte et le nourrisson vivant. Pas de léger mouvement, de souffle, de chaleur, d’odeur qui permettent de distinguer le vivant de l’inanimé, du sans âme ». (Patrick Avrane, psychanalyste).
© Laureen Machu
« Marilyn », une série photographique de Chloé Meunier
Originaire d’un village des Ardennes françaises à la frontière belge, lieu ayant subi la désindustrialisation, Chloé Meunier s’est imprégnée de cet environnement qui l’a amenée essentiellement à observer comment la population a été affectée, ainsi que ses réponses individuelles, familiales ou sous forme collective, face à cette situation. Ceci a entraîné plus largement la documentation photographique d’une perception de la relation entre les individus et les sociétés dans lesquelles ils évoluent, en France, en Belgique et plus récemment en Angleterre.
Elle se tourne vers des personnes qu’elle définirait comme semi-marginales, dans le sens où elles s’épanouissent « à côté » de la société sans s’en exclure ou s’en détacher complètement et, en retour, ceci n’est pas sans incidences sur leur façon de vivre. Une organisation interne au sein d’une organisation, et non pas une ré-organisation. Souvent ces personnes ne se sentent pas incluses dans la société dans laquelle elles évoluent puisque cette société n’intègre pas ces différences et questionnements. « Marylin » est comme beaucoup d’hommes : il aime porter de la lingerie féminine. Son fétichisme pour le satin remonte à l’essayage d’un déshabillé en satin de sa mère dans la chambre parentale, peu de temps après la disparition de son père qu’il admirait, dans un tragique accident, alors qu’il était enfant. Depuis il n’a cessé d’en porter, mais par peur de jugements hâtifs sur son identité sexuelle, il n’en parlera ni à son entourage, ni même à sa femme. Lui-même se posait des questions qui restaient sans réponses, jusqu’à ce qu’il puisse enfin vivre son fétichisme grâce aux shows de travestis. Il se produira en tant que transformiste dans des bars et ainsi tendra vers un équilibre fragilisé par une double vie. La peur du jugement persiste, même à 60 ans, bien qu’il en ait parlé à ses enfants. Marylin continue de se produire. Il est divorcé, et sa pension de retraite est maigre. Les shows lui permettent d’arrondir les fins de mois.
« Entre Sibérie et aujourd’hui », une série photographique de Guillaume Chauvin
« La Russie me faisait peur. Elle m’a donc attiré. Pour ses caricatures et son quotidien. J’y ai alors choisi la Sibérie, qui faisait peur même aux Russes, et suis parti y travailler un hiver.
Les surprises furent permanentes : un quotidien fait de normes surréalistes, d’une multi-nationalité insoupçonnée, ou encore d’une rationalité différente... J’ai tenté de témoigner de cela, d’en rapporter une vision plus "réaliste" à mon sens que le misérabilisme conventionnel qu’on m’en proposait jusque là.
Un extrait plutôt qu’un récit donc, entre Sibérie et aujourd’hui. »
© Guillaume Chauvin