© Jean COCTEAU - Milly la foret 1955
Studio Willy Rizzo 12 rue de Verneuil 75007 Paris France
Willy Rizzo l’audacieux
L’audace, c’est de voiler un nu d’une pénombre d’église mais de révéler l’intimité sulfureuse d’amants parfaitement habillés. L’audace, c’est aussi de ne jamais avoir peur de l’élégance. En 1968, lorsque le photographe de réputation internationale Willy Rizzo, lié à l’aventure de Paris-Match depuis sa création, puis à Vogue, inventeur du portrait synthétique, maître de la couleur, qui excelle dans la mode par défi, parce qu’on la dit futile, impossible... décide de devenir designer, c’est encore de l’audace. N’est-il pas un des meilleurs photographes du monde depuis trente ans ? L’époque est aux révolutions. Le mot fleurit de Pékin à Los Angeles en passant par Paris. Sanglant ou exaltant, avec ses vapeurs qui enflamment les esprits et libèrent les corps. Et Willy le respire, lui qui n’a pas son pareil pour absorber l’air du temps. Il ne court pas après, comme on court après un papillon. Il se laisse attraper par lui, sans même l’avoir cherché, refusant de regarder ce qui se fait ailleurs, dans les magazines ou les vitrines, comme on refuserait l’ingrat métier de copiste, non par principe, mais par hygiène.
La quarantaine venue, Willy a changé de vie. Il épouse l’actrice Elsa Martinelli. On murmure qu’il va ranger ses appareils pour vivre d’amour et de champagne... Ils ont choisi de s’installer à Rome, Willy exige que ce soit piazza di Spagna et nulle part ailleurs... ça fait rire son coiffeur : « Signore, vous débarquez... Et pourquoi pas au Vatican... » Willy a vite fait de dénicher ce qu’il veut : une grande pièce avec vue. Evidemment, il n’y a pas d’eau. C’est un « local commercial sans usage d’habitation », on ne dit pas encore loft. Le coiffeur, bluffé, fournit des adresses d’artisans pour l’aménagement. C’est avec eux, leurs enfants ou petits-enfants, que Willy a travaillé jusqu’à la fin, quarante-cinq ans plus tard.
Celui qui n’avait jamais pensé devenir décorateur voulait juste des meubles pour une nouvelle vie... Des meubles au-dessus desquels ses portraits noir et blanc prend- raient la place de toiles de maître. La photo n’est-elle pas l’art du siècle ? Dolce Vita ou pas, Willy ne cesse pas d’être photographe. Il continue à cultiver son talent, la lumière, la couleur, le mouvement. Tout ce qui a fait sa palette de photog- raphe s’adapte à la matière inerte : le décor devra s’alléger, s’éclairer, se mettre à danser.
© Gérard Fromanger Sienne Italie 2004
D’abord, il ne transige pas avec la matière. Elle doit être noble : marbres, bois précieux, acier, laiton. Il ne s’encombre pas d’impératifs commerciaux. A l’industriel dont la plus grande fierté est d’inventer le meuble livrable en carton plat... il préfèrera toujours l’artisan, son savoir-faire, son inventivité. Sa main. Le style scandinave ? Bah... trop froid, trop impersonnel. Il s’affirme Italien, comme l’indique son passeport. Chaleureux. Unique. Les canapés sont en pécari, une peau infroissable comme le cuir mais douce et tiède comme le velours. Modulables, ils s’adaptent, poussent dans les angles, rapprochent les conversations. La lumière est un filtre. Celle des « love-lamps » est vouée au flirt, elle ricoche sur des abat-jour doublés de cuivre, avec des chaleurs de flamme. Comme des étendues d’eaux calmes, les laques blanches, noires, rouges renvoient les rayons de ces soleils artificiels. Les tables deviennent aériennes, avec leurs pieds invisibles, quand ils ne s’habillent pas de couleurs vives comme une semelle d’escarpin. Tout ce qui est laid, fonctionnel, doit disparaître.
© Salvador Dali, Serge Lifar et Yvette Chauviré par Willy Rizzo Palais Garnier Paris 1950
Les assistants du photographe se souviennent du temps où Willy ne supportait pas les détails parasites : boutons de porte, fils électriques, bouteilles. Le designer invente la table basse avec compartiment pour les alcools, le meuble hi-fi, le coffre en acier et laiton qui dissimule un bar avec réfrigérateur. Les tables à plateaux tournants.
Les premiers clients seront les amis épatés: Brigitte Bardot, Gunther Sachs, Salva- dor Dali, Vincente Minelli. Le style Rizzo entre au palais Torlogna. Les grands play-boys en sont fous. C’est chic et sexy. Masculin. Du néo-classique qui met un peu de XXème siècle dans les demeures aristocratiques, et de style aristocratique dans les demeures du XXème siècle.
Cinquante ans après, au temps des tablettes tactiles, le style Rizzo demeure, inépu- isable. Le meuble Hi-fi est devenu Galileo : une boule bleue, noire ou rouge qui cache sa technologie sous un design de planète. Les fauteuils club rose ou jaune tournent comme des étoiles sur orbite. C’est Willy B., 28 ans, qui en a eu l’idée. Au- dacieuse. On imagine Willy Rizzo regardant alors son jeune fils. Avec un œil neuf. Et la fierté du maître.
Danièle Georget
© Maurice Béjart 2 Paris 1966
Vignette et Photographies © Willy Rizzo