© Edith Roux
La sellerie-espace photographique Albert Monier Jardin des Carmes 15000 Aurillac France
Photographe et vidéaste, Edith Roux situe sa pratique dans une veine documentaire conceptuelle où une réflexion sur les conditions de production des images est intégrée à l’intérieur du travail lui-même. Elle n’hésite pas à recourir à l’outil numérique ou au montage d’images, afin d’instaurer une distance face à la réalité, qui nous permet de mieux l’appréhender. Des préoccupations d’ordre sociopolitique sont souvent présentes dans son travail, entre autres, autour de questions liées à l’environnement, à la société de contrôle et aux mutations urbaines.
La série Les Dépossédés a été réalisée au Xinjiang, province autonome au nord-ouest de la République populaire de Chine. Le Xinjiang, appelé également Turkestan oriental, est peuplé de la minorité ethnique ouïghoure qui est turcophone et musulmane. A la frontière de l’Asie centrale, les images réalisées à Kashgar, ancien carrefour de la route de la soie, témoignent du processus de sinisation de l’espace engagé par les chinois dans cette région. Les Ouïghours voient leur espace géographique et social se réduire et s’inquiètent de ces transformations urbaines.
Présences fragiles dans un décor de ruines, les Ouïghours, par leur attitude digne, semblent opposer une résistance à la menace qui pèse sur leur culture. De même que la ruine en tant que fragment stimule l’imagination par la partie absente de la représentation, les miroirs disposés sur le sol par l’artiste renvoient au hors-champ de la photographie et à la présence/absence de ces personnages. Les miroirs sur lesquels glisse un reflet éphémère deviennent des images où se fixent les traces et la mémoire de cette culture.
Dans certains miroirs, le reflet de la photographe se devine, comme pour mieux définir les limites de la recherche à l’intérieur desquelles elle s’inscrit. Ce projet a bénéficié d’une bourse de soutien à la création du Centre National des Arts Plastiques, Ministère de la culture.
© Edith Roux
« Ce qui frappe à la vision immédiate des images d’Edith Roux est bien leur composition picturale, appuyée par cette harmonie chromatique d’une telle évidence, que le calme apparent affiché par ces figurines humaines semble avoir été plaqué arbitrairement à la surface de ces décors trop paradoxalement séduisants et déserts. Ces habitants d’un monde passé sont donc transportés là, figurines hiératiques et silencieuses sans état d’âme, au milieu des ruines de leur culture, et respirent une espèce de présence intemporelle, qui réinjecte de la vie à chaque tableau photographique.
De leur évocation intime nous ne saurons rien et ne garderons que cette impression dominante d’ocre et de marron des sols et des pierres, contrebalancée à la fois par les postures droites et minimalistes de ces Ouïghours comme des statuettes sacrées, et par ces incrustations de morceaux colorés d’histoire: évocations survivantes fragiles devançant leur destruction prochaine.
Dépossédés de tout, mais pas de leur dignité, tel ressurgit ce constat du monde intérieur de chaque individu devant sa maison, juxtaposé dramatiquement avec le décor objectif de l’histoire collective en route : sinisation à outrance qui broiera tout sur son passage, tels des tremblements de terre, qui auraient pu avoir été la cause de ces dévastations!
© Edith Roux
Et la frontalité brutale accentue encore une dernière fois la dimension d’icônes byzantines, laissant l’aspect sociologique de l’approche d’Edith Roux au second plan, et la place à une forme de méditation poétique, où notre regard est comme interdit, en apnée face à ces visions en déshérence, derrière lesquelles l’on pourrait déceler, comme ce miroir dans les décombres, la métaphore de l’acte photographique, fait d’absence et de disparition, seulement retenu par le fragile souvenir de papier. »
Gilles Verneret, Directeur artistique du Bleu du ciel
Vignette et Photographies © Edith Roux