© Ahlam Shibli
Le travail d’Ahlam Shibli (née en 1970 en Palestine) s’inscrit dans la continuité des projets qui, au sein de la programmation du Jeu de Paume, proposent de nouvelles formes narratives dans le champ de la photographie documentaire, comme en témoignent les expositions qui ont été consacrées aux travaux de Sophie Ristelhueber, Bruno Serralongue ou Santu Mofokeng.
Cette première exposition à Paris d’Ahlam Shibli présente une sélection d’œuvres réalisées depuis 2004. Ses images sont ancrées dans l’actualité, non dans l’urgence d’un témoignage, mais dans la nécessité de réinventer une distance critique avec la transformation profonde du regard subjectif.
© Ahlam Shibli
Le travail d’Ahlam Shibli est constitué de récits interrompus, de fragments, d’ellipses, qui obstruent le regard du spectateur et l’obligent à renégocier la relation entre l’image et son référent, en d’autres termes, entre l’esthétique et la politique.
La précision et le contrôle dans la mise en espace de ses images, et les textes explicatifs, que l’artiste écrit elle-même et qui accompagnent chaque série, parfois chaque image, rendent compte de la tension entre “la représentation du politique et la politique de la représentation”, comme l’écrit T.J. Demos à propos de son travail.
L’exposition comprend des travaux photographiques de l’artiste réalisés en Europe ou au Moyen-Orient. Par exemple, dans Eastern LGBT (2004–2006), qui est un acronyme de Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, adopté par des associations de soutien aux homosexuels, Ahlam Shibli travaille avec des ressortissants originaires de pays orientaux qui ont dû quitter leur famille et leur pays, faute de pouvoir vivre comme ils l’entendaient. À l’étranger et parfois seulement le week-end, en club, ils ont trouvé les conditions qui leur permettent d’être ce qu’ils sont vraiment.
© Ahlam Shibli
Trackers (2005) montre les Palestiniens d’origine bédouine qui ont servi, ou servent encore, comme volontaires dans l’armée israélienne. Ce travail est une recherche sur le prix qu’une minorité est obligée de payer à une majorité, pour être acceptée ou pour survivre, ou peut-être tout à la fois. Comme l’explique l’artiste : “Les trackers sont payés en argent liquide, et trois ans après avoir quitté l’armée, il leur est permis d’acheter aux Israéliens des terrains en bénéficiant d’une remise de 75%. Mais les terres qu’ils achètent étaient celles de leurs familles avant la création de l’état d’Israël.”
Dom Dziecka (2008) est une série de photographies réalisées dans onze orphelinats polonais (dom dziecka, en polonais) où sont dévoilées les conditions de vie d’enfants qui grandissent non pas au sein d’une famille mais dans un centre d’accueil. La cellule familiale classique fait place ici à une société d’enfants où les relations familiales habituelles sont à la fois remplacées et déplacées pour former un corps social nouveau et spécifique.
Trauma (2008–2009) consiste en une réflexion sur le sens du terme “chez soi”. Prenant comme point de départ les événements du 7 au 9 juin 1944 à Tulle (Corrèze), le travail se construit autour du fait qu’une seule et même population — voire dans certains cas les mêmes personnes —, après avoir résisté à l’occupation allemande et souffert de ses atrocités, a mené quelques années plus tard des guerres coloniales en Indochine et en Algérie contre des peuples qui à leur tour demandaient l’indépendance.
Vignettes et Photographies © Ahlam Shibli