© Marie-Laure de Decker
On parle des photographes martyrs sur le terrain du conflit, mais qu'en est-il du conflit d’intérêts ?
Les malversations se multiplient et les médias les passent sous silence. Hier Le Monde détruisait 50 000 photographies de l'argentin Daniel Mordzinsk qui en disait : "L'indignation et la peine me dévorent (…) mais je sais que vous comprendrez mon ennui et ma douleur.".
Le Monde n'est pas le premier, et ne sera malheureusement pas le dernier. En 2009, la fameuse agence Gamma reconnaissait avoir perdu toutes les images en couleur du grand reporter Marie-Laure De Decker.
Cette passionnée de la photographie la pratique depuis 1966. C'est toute l’histoire contemporaine qu'elle a capturé et inscrite sur sa pellicule. Le Vietnam, de 1970 à 1972, le Tchad du Nord en 1975, l'URSS, la Chine, le Mozambique et l'Afrique du Sud en 1985. Mais aussi la mode pour “Vogue”, les portraits de personnalités telles Marguerite Yourcenar et Duras, Orson Welles, Gainsbourg...
Une histoire égarée par Gamma, pour la modique somme d'1 million d'euros, maigre compensation à côté du travail de toute une vie. De Decker explique que « le juge est arrivé à ce chiffre en prenant en compte le nombre de rouleaux que j'avais apportés à l'organisme au fil des ans, avec l'hypothèse que chaque rouleau en vedette deux images. ».
Mais ce jugement n'est que le début d'une longue nage en eaux troubles. François Lochon, journaliste reporter et ancien photographe chez Gamma, rachète en 2010 le groupe Eyedea (Gamma-Rapho-Keystone etc.) en redressement judiciaire depuis 2009.
Les mésaventures s'enchainent, il crée la nouvelle société, dénommée « Gamma-Rapho » mais sans rembourser ce qu'il doit à présent à la photographe.
L'homme qui au commencement semblait empathique, affirme avoir 770 scans de ses photographies et lui propose de rechercher les originaux pour lui renvoyer. Mais la photographe ne vit jamais l'ombre d'un cliché.
Les péripétie sont stupéfiantes, filmiques, elles sont au moins une forme de réminiscence des clichés perdus. En effet, De Decker était photographe de tournages pour Maurice Pialat.
En 2012, Paris Match publie un hommage à Dalida pour marquer le 25e anniversaire de sa mort, la photographe Marie-Laure De Decker poste sur sa page Facebook deux captures d'écran de ses propres photographies, ce fait peut sembler anodin mais il va se retourner contre elle.
Lorsqu'elle va demander à son avocat de poursuivre Lochon pour récupérer ses images, les avocats de Gamma se présentent devant la cour avec les captures d'écran des deux images de Dalida. Le tribunal, face aux photographies, juge alors que la photographe est coupable d'avoir fait perdre son temps à Lochon. Perdre des photographies, est une chose, perdre du temps en est une autre : 5000 € d'amende, les frais juridiques de Lochon, l’effrontée photographe fait appel et l'addition est doublée 10 000€. Le temps, c'est de l'argent.
Et pour clore ce cauchemar en beauté, Lochon conteste avoir promis ses clichés à la photographe. «Nous ne possédons que des scans de vieux, et ils sont des nôtres (..)Les juges ont dit à deux reprises que le balayage d'une image argentique appartient à l'organisme qui [l'a produite] et payé pour cela. »
Il ajoute: «Il y a beaucoup de précédents juridiques établissant que les analyses appartiennent à l'agence. »
Le cas de Marie-Laure De Decker n'est pas rare, il y a pléthore de naufrages de ce type. Il est indécent et révoltant de voir que certains grands reporters, courent les quatre coins du monde pour nous informer de l'infortune qui touche les peuples et qu'ils sont bafoués par leurs propres agences. C'est à dire, les plus à même de comprendre la difficulté de leur lutte pour l'information, pour la justice.
Notons que François Lochon, propose à De Decker d’effacer sa dette si elle revient travailler pour Gamma mais si celle-ci refuse, il serait dans l'obligation d'envoyer les huissiers à son domicile...
Pour finir, le mieux est de citer Lochon lui-même : « Impossible tâche que de plonger dans l'actualité brûlante et d'observer les convulsions de l'humanité sans payer de soi. Que de désespoir, de rage, de désarroi devant l'incompétence universelle, la folie des religions, le fanatisme politique et la haine omniprésente. J'ai essayé de comprendre cette fin de siècle, mon petit XXième ! Le pouvoir aux pingouins ! Le seul endroit réellement en paix sur cette planète. »
Laura Béart Kotelnikoff