© Bernard Langenstein
De curieuses formes oblongues ont attiré son regard, là-bas, à la lisière du champ.
Il s’approche à pas lents, soucieux de la moindre variation de lumière, les yeux rivés sur ces silhouettes insolites dont la masse sombre se découpe sur le ciel. D’une minute à l’autre, de grandes zones d’ombre viendront recouvrir la campagne, et il lui faut saisir très vite la magie de ce territoire de solitudes et de courants d’air.
A la recherche de l’angle idéal, il enjambe de hautes herbes, évite des mottes de terre, des pierres, des flaques d’eau. De lourds nuages filent vers l’horizon et modifient à chaque instant les contours du paysage.
Il entrevoit bientôt la photographie à venir, cette image qui traduira l’intrigante beauté de ces émanations rurales, de ces rotondités en plastique, de ces balles d’ensilage, serrées les unes contre les autres en une étrange colonie de spectres assoupis aux reflets changeants.
De l’alignement plus ou moins aléatoire de ces masses silencieuses, alignement tantôt rigoureux tantôt livré aux lubies du hasard, se dégage chaque fois une mystérieuse présence. Se perçoit en creux le témoignage d’une civilisation qui survit en secret. Ce sont là les fruits du labeur des hommes de ces paysages battus par les vents et par les pluies. Des fruits qui sont aussi d’imposantes sculptures, lesquelles, par leur forme et leur esprit monochrome, semblent avoir été créées par quelque artiste soucieux de donner au paysage un peu d’humanité, un peu de sens. Bernard Langenstein les surprend dans leur intimité, en saisit de près toutes les nuances, toutes les subtilités, désireux d’en révéler l’esthétique profonde.
Dans les jeux de lumière de la fin d’après-midi apparait comme une évidence l’auguste majesté de ces éphémères totems, leur étrange éclat, la pureté de leurs lignes. Blanches, vertes ou noires, selon les lieux, ces balles d’ensilage offrent un visage énigmatique, irradiant de miroitements capricieux, révélant une poésie inattendue.
© Bernard Langenstein
Bernard Langenstein les désigne à notre attention en les magnifiant, en leur conférant une âme. Sa photographie est ainsi celle d’un arpenteur des vides de notre civilisation. Inlassablement, il témoigne d’un monde en déshérence en même temps qu’il « invente » un environnement dont la dimension poétique saute aux yeux. Image après image, il parvient à nous montrer les paysages de nos campagnes sous un jour jamais vu encore.
Ludovic Duhamel
photo et vignette © Bernard Langenstein