"Half Life est le troisième livre de Michael Ackerman que nous publions. Ce n'est pas un hasard. C'est qu'il est une valeur sûre de la nouvelle génération. Plus encore que les spécialistes, ce sont ses pairs en imagerie qui lui reconnaissent un talent, un style, un rapport très particulier aux sujets qu'il traite, une qualité d'analyse exceptionnelle, ce que confirment d'ailleurs les expositions et les versions internationales de ses livres.
End Time City pouvait laisser croire que, comme beaucoup de ses confrères, Michael avait parfois besoin d'exotisme, et celui que lui offrait Bénarès ou le Gange avait l'étrangeté qu'il cherchait. Mais non, il n'est pas de ces turbulents de l'œil qui sillonnent le monde sans que leurs déplacements soient motivés par un événement politique ou par une catastrophe naturelle. Michael est un exilé. Comme tant d'autres. Mais ce n'est pas l'envie de retrouver sa trace qui le pousse à partir souvent de New York où il vit, vers l'Europe d'où il vient. C'est l'envie d'aller ailleurs, de voir d'autres hommes, une autre lumière, sans chercher des souvenirs d'enfance ou les rémanences d'un temps révolu. Il faut que le pays, la ville, l'attirent et le retiennent. Comme l'ont fait la Pologne, Berlin ou Cracovie. Qu'il puisse y vivre assez longtemps pour en connaître les jours et les nuits. Qu'il épuise son univers dans le souci constant de restituer ce qu'il a vu, non pas dans la description d'un personnage, d'un paysage urbain ou campagnard. Ce qu'il fixe, c'est l'évocation d'une vision qui a été la sienne et non le témoignage d'un fait. La plupart de ses photos semblent nées sous un voile, dans une brume de petit matin ou de la tombée du jour, mais c'est à travers cet écran qu'il perçoit la réalité. Son regard glisse souvent sur le sujet, comme si Michael ne s'arrêtait jamais pour voir, ou plutôt comme s'il avait besoin de ce non-ajustement à une vérité. Les visages de femmes ou d'hommes qui surgissent par instant de l'ombre n'échappent pas à ce mouvement subtil, comme s'ils étaient découverts sans s'être annoncés, comme si les sujets que Michael a choisis tentaient d'échapper à leur prédateur, comme si une force les poussait hors du cadre, la perception fugitive qu'en avait eue Michael ne nuisant pas à l'expression ni à l'esthétique d'une image mais en en renforçant la valeur, celle d'un instant fixé dans une fuite qui survaloriserait les significations. Michael Ackerman est, à l'évidence, un artiste de notre temps, un temps tragique, un temps dont la mouvance interdit de tracer les frontières entre le présent et l'avenir, entre l'instantané et le souvenir."
Robert Delpire
Michael Ackerman est né à Tel Aviv le 3 septembre 1967. En 1974, il émigre à New York avec sa famille. Il intègre l'université de New York, Albany, en 1985. Plus porté par la nécessité de photographier que d'étudier, il quitte l'université en 1990 pour retourner à New York. Les rues, les gens, la ville et ses quartiers multiples nourrissent ses explorations le plus souvent nocturnes. De 1993 à 1997, il entreprend plusieurs voyages à Bénarès en Inde. Les photographies qui en résultent font l'objet d'un livre, "End Time City", publié en France par Robert Delpire en 1999 (édition anglaise : Scalo, Zurich-New York), qui obtient le prix Nadar. Michael Ackerman reçoit également pour ce travail l'International Center of Photography Award dans la catégorie Jeune Photographe. En 1997, il rencontre Christian Caujolle et Gilou Le Gruiec et décide d'intégrer l'agence et la galerie VU' à Paris où il expose son travail en 1999, 2001 et 2004. C'est également en 1997 à Cabbagetown, banlieue hantée et sauvage d'Atlanta, qu'il commence le projet Smoke, du nom du groupe créé par Benjamin, chanteur et poète, travesti et grand amateur de drogues diverses autour duquel Jem Cohen et Peter Sillen réalisent un film documentaire. Entre 1995 et 2000, il ne cesse de photographier au cours de ses nombreux voyages à Naples, Paris, New York, Marseille et Berlin. Il en résulte un livre, "Fiction", publié par Robert Delpire en 2001 (édition anglaise : Gina Kehayoff, Munich ; édition italienne : Federico Motta, Milan). En 1998 il découvre la Pologne où il s'installe par intermittence et photographie particulièrement les villes de Cracovie, Lodz, Varsovie et Katowice, ainsi que les paysages qui les séparent. Ce travail obtient le prix Scam Roger Pic en 2009. Depuis plusieurs années, il expose ses différentes séries dans de nombreuses villes en Europe et aux Etats-Unis. Ses photographies font partie d'importantes collections internationales, dont celle de Marin Karmitz qui a donné lieu à l'exposition "Traverse", présentée aux Rencontres d'Arles 2010 et dont le catalogue est publié aux éditions Actes Sud. Michael Ackerman vit aujourd'hui à Berlin. Il est représenté par l'agence et la galerie VU' à Paris.