Après des années de purgatoire faisant suite à sa disparition et à une succession compliquée, l’œuvre de Guy Bourdin, dont l’image reste attachée à sa collaboration au magazine Vogue et aux publicités sans pareilles pour les chaussures Jourdan trouve enfin sa place. Une des toutes premières et pas seulement en tant que photographe « de mode » tant il est évident que, tout comme Helmut Newton d’ailleurs, il était avant tout photographe et avait trouvé dans un magazine et dans sa collaboration avec un chausseur les moyens de mettre en œuvre son univers personnel.
Outre les expositions qui se multiplient dans les musées et font le tour du monde, l’édition n’est pas en reste et la bibliographie de celui qui, de son vivant, refusa catégoriquement d’exposer ou de publier ailleurs que dans les pages éphémères de la presse s’allonge de mois en mois.
Au côté de la somptueuse monographie que vient de lui consacrer Steidl (une couverture d’anthologie, sans même son nom, mais inévitable tant les ongles carmins composent une image inoubliable) les Éditions Xavier Barral à Paris viennent de publier un ouvrage de petit format qui va bien au delà de l’hagiographie, de l’album, de la démonstration et est une vraie merveille de délicatesse et d’accès à la création d’une œuvre. En réunissant les Polaroïds de Guy Bourdin et au-delà du charme que ne manquent jamais d’avoir ces fragiles petits formats instantanés aux matières nous pénétrons dans un univers. Les accidents inhérents au procédé et ses arrachements ajoutent encore, parfois, une touche d’émotion aux images. Des essais en tous sens, des notes, des repérages et, toujours, ce sens d’une élégance sensuelle, avec une note de surréalisme et le temps qui traverse les mises en scène. Tout part de la recherche du cadre, précise, implacable, qui va permettre, aussi bien dans les paysages et plages de Normandie que dans des chambres d’hôtel luxueux d’installer les modèles avec un souci maniaque du détail. On retrouve évidemment la déclinaison des chaussures, surprenante de capacité à se renouveler autour d’un objet aussi difficile à photographier, mais, de page en page, on redécouvre les jeux de mains, savants, subtils, sensuels et parfois amusants. Tout comme l’on peut apprécier le choix des modèles, de corps qui n’ont rien de sculptural à la manière de Newton mais sont bien plus émouvants. Le plus spectaculaire reste la couleur. On aime Guy Bourdin pour la franchise de ses teintes, son sens des compositions aux rouges, bleus, roses, jaunes intenses, ses brillances, les vibrations de sa palette qui ne tombe jamais dans la vulgarité mais reste bien affirmée, dure parfois, efficace toujours. Avec le Polaroïd, le nuancier acquiert une fragilité (accentuée par la présence de noirs et blancs mal fixés dont le léger sépia, les griffures, l’aspect un peu sale induisent une autre temporalité) inattendue. Et les images, servies par la matière unique du procédé, acquièrent une forme de séduction, un peu romantique, que l’on n’attendait pas. La reproduction impeccable des originaux sert parfaitement le propos : « Et chaque petite image de préparation active notre mémoire et nous renvoie à une des réussites définitives qui habitent l’œuvre. »
Seul bémol, le texte « d’introduction » bâclé de Olivieiro Toscani est aussi insipide que désinvolte et inutile.
Guy Bourdin, Polaroïds, Éditions Xavier Barral, 25 €