© ANtoine D'Agata Sans titre (Amsterdam. Pays-Bas. 2004) Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
Antoine D’Agata est déjà une légende vivante et l’’installation présentée au Bal est monumentale1. Pour y répondre, la galerie a choisi de montrer des images iconiques de l’artiste comme elles n’ont jamais encore été présentées. Des tirages en grand format vont ainsi habiter, hanter la galerie au printemps. En écho à la présentation « all over » du Bal, le principe scénographique retenu par l’artiste posera les images une à une dans l’espace et mettra en évidence leur importance et leur sidérante splendeur.
Antoine d’Agata est un artiste qui dérange, il est hors de question que tout le monde adhère à son travail. Au contraire, celui-ci peut même choquer certains et plonger tout un chacun dans ses propres tréfonds. Artiste écorché et politique, il expose, explose les chairs et déchaine le clair obscur d’une vie à ses limites.
© Antoine d'Agata Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris
Si la galerie adhère pleinement à cette œuvre c’est qu’à l’évidence elle dépasse la noirceur qu’elle dévoile pour la transfigurer en une œuvre d’art sans équivalence : unique et absolue. Même s’il y a d’autres artistes qui évoquent les ténèbres -on peut évoquer par exemple les images torturées de son amie Nan Goldin - Antoine d’Agata est le seul à pousser l’expérience à son paroxysme. Son cri existentiel provient autant de la terreur que de la beauté humaine et s’illustre par quelques images 2 rescapées . Exégèse vitale qui s’allie au discours politique dans un désir de sabrer l’indifférence.
(...) C’est une quête cruelle et sans issue que d’embrasser la violence de la rue, d’en vivre l’expérience dans sa chair : apprendre le langage meurtrier qui dépasse toutes les poésies, traquer l’irruption de la vie, sale et brutale, dans l’ordre des convenances, chercher la vérité fragile des gestes, reconnaitre la solidarité là ou d’autres voient un néant irrémédiable, se laisser submerger par la beauté intolérable des filles, s’enfermer dans la certitude d’une solitude radicale, se mettre à nu, confondu au monde physique qui s’efface dans un glissement, et payer le prix jusqu’au sacrifice (...)
Difficile pour qui ne connaît pas le travail de deviner que les corps d’hommes torturés dans les images sont le sien. De fait, Antoine d’Agata ne prend pas des photographies, il est l’image même. Dès lors comment parler d’un artiste qui paye de sa vie pour créer son œuvre ? Comment évoquer les milliers images qu’il a revisitées ces deux dernières années dans un désir de redessiner toute son œuvre. Que dire de la magistrale monographie qui en montrera 2 500 d’entre elles et de ces deux expositions qui en sont issues ainsi que de son long métrage à venir. Connu de beaucoup, tant sa personne est accessible, il est pourtant un homme secret et intime. Proche de nombreux artistes, il préfère leur compagnie et celles de quelques personnes qui l’accompagnent aux applaudissements du public. Il ne s’agit pas de plaire, même si comme tout artiste majeur, il est salué par ses pairs et un public international. Si Antoine D’Agata s’expose, c’est qu’il a une volonté farouche de dire la souffrance d’une humanité blessée, le lien indissociable de la vie avec la mort, de montrer ces êtres que personne ne veut regarder. Car pour lui, seul l’imaginaire dévoile l’impossible réel.
Les écrits d’Antoine D’Agata viennent en appui de son œuvre artistique. Texte monumental s’il en est, le dernier texte, celui de la monographie à paraître chez Xavier Barral, est à couper le souffle. Impossible de respirer en lisant ces 80 pages où il n’y aucun point. Les mots de d’Agata dévorent, agissent sur la conscience, dénoncent les faux semblants du monde et se muent en un document politique incontournable. Là encore, l’artiste impose un dépassement à l’autre. Qu’il lise ou qu’il regarde, il sera forcé de s’arracher de la norme pour percevoir l’essence artistique de l’œuvre.
Le critique et co-commissaire Bernard Marcadé en a fait une analyse pertinente3 qui en souligne la profondeur et le lien indissociable entre les textes et les images. Il précise fort justement que plus qu’une image, il s’agit pour l’artiste de créer un récit. Comme le proclame l’artiste lui-même :
(...) Le processus exige un sacrifice, action ultime dont le sens ne sera révélé que lorsqu’elle deviendra, par le geste artistique, histoire racontable, récif de flux et de devenirs perpétuels, de démesures, d’excès aveugles, de réalités individuelles, d’exploration des pulsions élémentaires de la nature et de l’humanité, de la tension permanentes entre les forces irréconciliables de la raison et de l’instinct (...)
Christine Ollier
Photo et vignette © Antoine d'Agata, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris