Strates, 2009,Série “Septentrion” © Stéphane Vandenplas
Galerie Pascaline Mulliez 4 cité Griset 75011 Paris France
Intention suspendue
“L’endroit ne fait pas la matière de la photographie”. Stéphane Vandenplas
Si ce n’est l’endroit, qu’est-ce donc ? La forêt de Brocéliande enveloppée de brume nébuleuse, le Havre pris dans une étreinte vaporeuse ou encore les plages septentrionales taillées dans le sable, ne sommes-nous pas pourtant face à des paysages ?
Le paysage est loin d’être une évidence pour autant, il est avant tout une cosa mentale, il est bien plus qu’un rendu immédiat d’un ici-là perceptible : une ville, une montagne, un chemin de campagne ou un bord de mer. Que l’on parle de photographie documentaire ou plasticienne, le paysage est emprunt de schèmes culturels : s’y jouent et s’y mêlent les souvenirs, les connais- sances, aussi bien que d’autres repères intimes, d’autres références, conscientes ou non. Le paysage n’est pas -ou n’est plus- une donnée intacte, mais désormais un être-là constamment repris, altéré, interprété. Dans les photographies de Stéphane Vandenplas même si l’on réussit à identifier le lieu, l’ancrage-même dans la réalité tangible de ce lieu est impossible parce que suspendue. La présence humaine y est rare, l’action déjà accomplie.
Les titres des séries sèment un doute : “Kilomètres intérieurs”, “Mirage” nous introduisent à une pérégrination, une introspection poétique. L’énigmatique “Microsievert” nous entraîne au delà des frontières du visible : la surréaliste Adriatique entrouvre une fenêtre vers un paysage mental, La ville d’en face II transforme les objets anodins en constructions géométriques so- phistiquées. L’ambivalente La Mancha devient le motif troublant d’une réalité trompeuse. Les photographies de la série “Septentrion” : Strates, Ici même II, Peau de chagrin, Ourcq et Aéro- naute et celles de “Kilomètres intérieurs” : Zone ondulatoire, Géométries variables III sont des compositions abstraites dont le lieu n’est que prétexte.
Pour l’artiste, il s’agit d’avantage d’une succession de tâches, d’une succession de mouvements, de rythmes et d’espaces ; un travail de mémorisation, dit-il. Les prises de vues ne sont pas le résultat de sujets maîtrisés, étudiés, élaborés, construits. Il arrive parfois à l’artiste de dessiner une photo avant de la prendre, non que le dessin soit un croquis mais plutôt une ré- flexion diffuse. Il emporte le bloc-notes avec lui ; cela lui permet de mieux mémoriser, dit-il. Au travers de vagabondages infinis, le hasard fait que la rencontre s’opère, les objets insolites se métamorphosent et l’énigmatique poésie surgit. Suspendue. Aucune symbolique, ni non plus aucune suggestion d’un au-delà, nous sommes dans le présent, un présent arrêté, suspendu.
L’on peut dire que toute photographie marque un arrêt, ne serait-ce que le temps de la prise de vue, et c’est bien cette intensité temporelle qui nous stupéfie en elle : ça a été et ça n’est plus. Cependant, il y a plus encore dans les images de Stéphane Vandenplas : ici, le lien-même avec la réalité palpable est rompu, la temporalité est interrompue, l’instantané est suspendu, flottant.
Autour du bruit, le silence, autour du bruit, autour d’une ville, dans une société où tout est donné à voir, où même l’intime devient quasi-impossible parce que banalisé, le photographe guète le silence capable d’arrêter la course d’une aiguille : « Ces images nourries de grands bruits, racontent le silence nécessaire à leur existence. »* Le déroutant “Vous êtes ici”, se rit du lieu à proprement parler et se déploie pleinement dans un lieu mental. « [...] Chaque regardeur entrera dans ce monde, dont l’origine est partout, par l’accès qui lui sera le mieux sensible. » **
* Stéphane Vandenplas, entretien réalisé en novembre 2012
** Jacques Abeille, « Rêves de nuit blanche », Autour du bruit, le silence, catalogue d’exposition, Pascaline Mulliez (galerie – paris), 9.02 – 30.03.2013
"Autour du bruit, le silence"
Tu l’auras sans doute senti, de lentes explorations aux abords du monde connu sont le préambule à ces photogra- phies. Je t’ai souvent parlé de ces longues marches au cours desquelles il y a parfois, peut-être, une image, un hasard. Lentement, patiemment, malgré l’agitation, je deviens le spectateur de représentations éphémères dont le billet d’en- trée se règle à coup de fatigues et d’ivresses.
Ces images nourries de grands bruits, racontent le silence nécessaire à leur existence. Dans le simple carré sombre, une petite histoire faite de lumière et de bouts de ficelle. L’histoire d’une ville qui clame son nom à travers l’obscurité, d’un Aéronaute qui ne retrouvera jamais sa machine, celle d’un navire perdu entre Pola et la Sérénissime, d’une lune qui dessine tant que nous dormons. Des histoires muettes, des projets grandioses, celle de Giovanni Drogo qui n’en finit plus d’attendre et de scruter le lointain sur un mur juste devant lui, l’histoire d’un nuage, heureux de pouvoir faire halte au cours de son long périple.
Où se trouve le terrain vague de tout ce qui nous échappe, sur la carte des silences peut-être ? Des montagnes de certitudes emportées par le vent du bord de mer, quelques secondes inoubliables, même moins,
saisies dans un éclair de lucidité, à l’abri de nous ? Tu vois, ces photographies, me donnent l’impression que nous existons réellement, quelque part autour du bruit.
Stéphane Vandenplas Décembre 2012