Expositions du 31/01/2006 au 30/04/2006 Terminé
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
"Si je fais une image ou une photo, c'est à la fin d'un long processus de pensée sur le monde"
L'exposition rassemble environ 85 œuvres provenant de différentes collections (États-Unis et Europe) :
Photographies
Sélection d'environ 55 photographies, grands formats en noir et blanc et en couleur. Chaque image positive est soumise à un long processus de manipulation jusqu'à l'obtention du résultat souhaité par l'artiste. Craigie Horsfield présente les photographies en grand format afin de leur conférer une présence à laquelle le spectateur peut difficilement se soustraire.
— Séries de portraits et de scènes de rue, réalisées de 1969 et 2005, à Londres, Cracovie, Barcelone et Rotterdam.
El Hierro, 2001-2002, 2002-2004
Broadway, 2001, (portraits) 2005
Archives photographiques et vidéos
"Social Projects - Soundwork and Filmwork".
The City of the People, Barcelone, 1994-96
Deurle, 6 juli 1997, 1996-97
Het Rotterdam Project (The Rotterdam Project), 1997-98
Rotunda Installation Stuttgart, September/October 1999, installation sonore, 1999
Here. Conversation: Ravenstein, Bruxelles, installation / film, 2000
El Hierro Conversation, installation / film, 2001-2005
Dessins Sélection d'environ 30 œuvres.
Irresponsible Drawings, 2003-2006 : dessins, collages, photographies noir & blanc et couleur, photogravures, et monotypes.
Extraits d'un entretien avec
Jean-François Chevrier et James Lingwood
paru à Londres en 1991 :
"J'étais en Allemagne en 1967, au moment des bouleversements ; j'avais 18 ans et mes camarades étaient un peu plus âgés que moi, d'un an ou deux. J'étais rempli de doutes et de prémonitions, que ce fût une manière de compenser un défaut d'expérience, ou le résultat d'un penchant aux idées sombres. J'avais le sentiment que les propos informes et chaotiques de ceux qui partageaient mes rêves étaient en réalité complices du monde contre lequel nous étions engagés, que la gauche et l'establishment étaient indissociables : ils venaient du même monde, ils avaient surgi tous deux des révolutions libérales du début du 19e siècle. Je me disais socialiste mais je ne croyais pas à la révolution. Elle ne pouvait pas avoir lieu puisque personne, ni le monde ni chacun de nous ne croyait plus aux rêves qui étaient encore possibles au siècle dernier. Cette prise de conscience a déterminé toute mon existence. Je croyais à un changement bien plus fondamental, qui allait tout balayer. J'oubliais qu'on pouvait passer sa vie à attendre et à espérer en vain. Je pensais que ce changement était imminent. Je me trompais.
( … )
Je pensais que dans une époque pareille il fallait être lucide, attentif aux choses du monde, et en parler rigoureusement. La nécessité de l'art dépend de cette att
ention au monde, et de la manière dont on parlera en termes responsables et simples des sujets importants, en dehors des arcanes du langage artistique. Il me fallait une discipline pour parler de ce monde. (…) Je me suis inscrit au département de peinture, bien que je détestais la peinture de l'époque et l'indifférence qu'elle affichait devant un monde en train de s'effondrer. Ce qui m'a définitivement éloigné de la peinture, c'était qu'elle n'avait rien à voir avec l'expérience de la réalité ; elle était coupée des choses du monde. (…)
Pourquoi avoir choisi la photographie ?
D'abord à cause de sa fonction mimétique et de tout ce qu'il peut y avoir de problématique dans cette fonction. Ensuite parce que son rapport au temps et l'immanence de son histoire m'intéressent. On n'échappe pas à ce paradoxe de la photographie : quelle que soit l'atteinte portée à l'intégrité de la représentation de la figure, il reste toujours une trace des choses du monde. On finit toujours par être confronté au réel. On est partagé entre douter et croire. C'est insoluble. En même temps je trouvais que c'était un médium un peu faible ; je trouvais son histoire banale et médiocre en comparaison avec celle de la littérature et du cinéma.
(…)
La photographie demande peu de moyens, c'est une pratique de temps de crise.
(…)
On sait depuis longtemps, et on l'a suffisamment répété, qu'il est impossible d'envisager la description photographique sans être confronté à une problématique de la représentation du réel. On ne devrait plus avoir besoin de le répéter : la transparence de la représentation n'existe pas. On sait que cette question est très difficile. J'ai considéré comme acquis, depuis toujours, que le langage que j'utilise est perverti, qu'il ne peut être le lieu d'une vérité absolue. On ne vit pas avec des certitudes pareilles. Mais je n'ai pas d'autre langage.
(…)
On dit que la photographie donne du monde un spectacle appauvri ; un spectacle sans spectaculaire. À mon avis elle est encore plus pauvre. C'est un cadavre exsangue. Elle n'a pas de prise sur la réalité physique. Pire encore, la surface d'une photographie ne joue pas, contrairement à la surface d'une peinture ou même d'un film. La surface d'une photographie est inerte, elle n'a pas été investie par l'artiste.
(…)
Cette surface doit participer du lieu et du moment, elle doit être aussi vulnérable que la peau, rendre compte du poids exorbitant du monde, de la sensation et de la présence des objets qui remplissent le monde. Elle ne se limite pas à une fonction de signification, grâce à elle on doit pouvoir éprouver la pesanteur des choses du monde. Mais quand on s'en approche, la surface de la photographie se défait, elle se désintègre en autant de points d'ombre grise. Cette évanescence de l'identité constitue toute l'expérience matérielle de la photographie. C'est comme de vouloir toucher le présent. Quand on considère la surface, toute image photographique présente un fait singulier, discontinu, et son effondrement."
Catalogue de l'exposition
Èditions MER, Gand
Textes de Craigie Horsfield, Carol Armstrong, David Ebony, Slavoy Zizek, Manuel Borga Villel, Bracha Lichtenberg Ettinger ainsi que deux entretiens de l'artiste avec Carol Armstrong et Serge Gibaud.Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France