La censure artistique possède de nombreux visages en France, qu'elle provienne des institutions, des pouvoirs publics ou encore d'un phénomène d'auto-censure. Au sein de la sphère photographique, elle est révélatrice de l'impact accordé aux images et leurs interprétations. Car c'est bien de regard qu'il s'agit, ici la création rencontre le domaine législatif avec le flou et l'arbitraire qui accompagne ses textes.
La question de la morale n'est jamais très loin lorsqu'il s'agit de censure, sous couvert de la protection des mineurs la législation offre des possibilités de répression des plus ambiguës. En effet, l'article 227-24 réprime "«Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, (...) lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.» Le chemin est tracé, la création artistique peut-être l'objet de récriminations et sa présentation récusée.
L'exposition de Larry clark à l'hôtel de ville en 2010 semble avoir fait les frais de cette brèche ouverte à la censure. En interdisant au moins de 18 ans le travail de ce photographe sur les adolescents de Tulsa et de L.A, la ligue des droits de l'homme dénonçait un acte de censure directement lié aux articles liberticides 227-23 et 224-24. Cette interdiction, nous renvoie au caractère subjectif de tout jugement portée sur une oeuvre, sur quels critères décide -t-on d'interdire l'accès aux moins de 18 ans d'une exposition? Ou encore de retirer une oeuvre? Comme ce fut le cas en 2008, lorsque des policiers interviennent à la Fiac pour décrocher les photographies de l'artiste russe Oleg Kulik. Encore une fois, c'est l'article 227-24 qui justifie la saisie des oeuvres qualifiées de pornographiques ou zoophiles.
En 2011, c'est un sponsor Français qui est pointé du doigt pour un acte de censure politique. La marque Lacoste, bat en retraite devant les photographies de Larissa Sansour qu'elle juge «exagérément pro-Palestinien». L'artiste né à Jérusalem, avait été retenue parmi sept autres finalistes pour participer au Prix Lacoste Elysée avec son projet «Nation Estate» Cette série de photographies était construite autour de la représentation d'un état palestinien imaginaire. Sujet qui semble -t-il, n'a pas plu à la direction de Lacoste qui informa le musée de l'Elysée qu'elle exigeait le retrait de Larissa Sansou du groupe des artistes sélectionnés. Outre la question, souvent brulante, de la Palestine, cet événement nous pousse à nous interroger sur la présence des sponsors privés dans le paysage photographique européen. La photographie n'a pas cessé de déranger, mais les pouvoirs publics et autres acteurs culturels ne devraient pas oubliés que l'art est essentiel à toute démocratie.
La définition subjective et imprévisible des notions de «pornographie» et de «dignité humaine», laisse ainsi le champs libre à des formes de censures subtiles et couvertes par la loi Française. Si la libre interprétation de l'art est un élément clé de sa vitalité, le flou artistique législatif devient problématique quant il touche les artistes. Ces tentatives nous rappellent un obscurantisme lointain, absurde et révoltant en 2013 les détracteurs de l'art sont souvent pris à leur propre piège et victime du «phénomène Streisand». La justice peut elle aussi, être parfois surprise, face à l'intrusion du politique au sein de la diffusion artistique. Parfois bouclier, face aux potentiels censeurs, son cadre pose les limites de leur influence, rappelant que l'art possède aussi ses propres lois.
L’affaire du « drapeau national outragé » met en lumière le rôle positif que peut exercer le pouvoir législatif pour légitimité l'art. En 2010, La polémique se créé, lorsque la Fnac, à l'issu d'un concours de photographes amateurs, prime dans la catégorie "politiquement incorrecte" la photo d'un homme de dos se frottant le postérieur avec le drapeau Français. L'affaire pourrait être cocasse, si elle n'était pas représentative des attaques toujours en vigueur aujourd'hui. En tête des indignés, Brice Hortefeux déclare « Personne ne peut accepter que la liberté d’expression soit détournée au mépris de l’emblème de notre pays » S'ensuit alors le retrait de la photographie «subversive», des excuses publiques de la part du PDG de la Fnac et le licenciement de deux employés. Portée devant la justice cette "affaire "sera classée sans suite", mais laisse un gout amer sur son passage.
La photographie se confronte également au droit exclusif de la personne sur son image et son utilisation, lui permettant de s’opposer à sa captation et à sa reproduction sans son autorisation. Cependant ce droit n’est pas absolu. Il cède, notamment, devant le droit à l’information, droit fondamental protégé par l’article 10 de la Convention Européenne. Un détail qui prend toute son importance pour les photographes, comme le montre l'aventure de Luc Delahaye. Attaqué en justice pour l'un de ses portraits volés d'un usager du métro. Le plaignant, qui accuse l'artiste de l'avoir représenté avec un air triste, réclame alors 100 000 Francs et remet en cause la publication du livre "l'autre". Mais le tribunal donnera raison au photographe, considérant que cette accusation aurait «pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste ». La conclusion d'un tribunal est alors cruciale, il s'agit également de protéger les artistes face à certaine réclamations que l'on pourrait qualifier «d'opportunistes». Les dédales juridiques auxquels doivent faire face les artistes, témoignent de la place accordée à l'oeuvre artistique et de la vigueur incroyable véhiculée par l'image photographique.
L'interprétation faite des textes législatifs, pour ceux qui s'en emparent, interroge les limites de la censure photographique. Le tribunal se pose également comme l'ultime moyen de défense, lorsque la légitimité du travail de l'artiste est en péril. Récemment, la problématique judiciaire c'est également posée pour le photographe Suisse http://actuphoto.com/23931-interview-de-christian-lutz-a-propos-de-la-censure-de-son-ouvrage-laquo-in-jesus-name-raquo.html">Christian». La question reste en suspend, quel poids doit- être accordé à la justice en matière de création artistique?
Manon Froquet