Expositions du 04/04/2006 au 13/05/2006 Terminé
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
Vernissage le mardi 4 avril de 18h30 à 21h00
L'imagerie très particulière d'Ellen Kooi a plusieurs origines. Tout d'abord, sa prédilection pour la mise en scène est sans doute issue du théâtre, milieu dans lequel elle a débuté son travail de photographe. Elle s'en inspire à l'évidence dans ses compositions et préfigure d'ailleurs celles-ci par des croquis, et, tel un metteur en scène, utilise ses modèles comme des acteurs. Le spectateur est souvent confronté à des personnages dans des positions/actions incongrues qu'elle implante dans un milieu urbain ou dans des paysages hallucinants, telles six femmes pêchant en arc de cercle sur un quai du bout du monde (Amersfoort – Visvrouwen, 1998) ou bien une femme appelant un interlocuteur improbable devant une bouche d'égout (Haarlem – het putje, 1999).
Par ces mises en situations quelques peu extravagantes, on peut également rattacher son travail à l'univers surréaliste. Ce penchant pour l'absurde et l'humour fait écho aux travaux de nombreux artistes hollandais tels ceux, par exemple, de Teun Hocks, qui se situe en droite ligne de ce courant. On relève parallèlement, dans son œuvre, d'autres caractéristiques de la photographie néerlandaise contemporaine. Ainsi, ses images, mélange de réalité et de symbolisme, dont l'unicité des compositions est achevée en explorant les possibilités du numérique, sont certainement liées au goÛt pour une photographie manipulée que l'on retrouve chez de nombreux plasticiens hollandais. Ces artistes, amoureux de l'étrange, tels que Inez van Lamsweerde, se font remarquer depuis quelques années par des manipulations oserions-nous dire plus « génétiques » que simplement numériques de l'image.
Paradoxalement, l'utilisation de l'ordinateur par Ellen Kooi contribue à rendre ses photographies plus naturelles. En effet, optant pour un format panoramique, l'utilisation d'un objectif grand angulaire rendrait la représentation trop distante et les personnages trop petits. En utilisant une caméra panoramique, les lignes droites s'arrondiraient. C'est pour cette raison qu'Ellen Kooi photographie une scène en différentes prises de vues, l'une à côté de l'autre. Ensuite, elle les monte en une seule image recréant alors une perspective faussement naturelle. Le paysage est ainsi recomposé comme une scène intégrant des éléments de décor venant renforcer la psychologie du sujet et du rêve représentés, comme si le paysage pouvait potentiellement alimenter directement le subconscient. Nous ne sommes pas très loin ici des interprétations du concept de Pline par les peintres flamands du XVIIe siècle tels Jan Brueghel le vieux, Jan Brueghel le jeune et leurs ateliers, qui tendaient à interpréter le paysage comme une rêverie romantique selon une version littéraire et religieuse*.
Ellen Kooi met également à profit la technique numérique pour accentuer la « dé-réalisation » des mises en scènes et renforce ce procédé par l'usage d'éléments cinématographiques. D'une part, les prises de vues à la Hitchcock, souvent basses ou en contre plongée, imposent au spectateur une perception de la scène au niveau du sol comme s'il débouchait sur un monde dont il serait l'intrus. D'autre part, l'irréalité des scènes irisées de couleurs très particulières -qu'elles soient fluos, saturées voire criardes- contribuent à nourrir l'aspect cinématographique du décor. Cette lumière étrange est la combinaison équilibrée entre une lumière naturelle grisonnante typiquement hollandaise et l'utilisation du flash, ayant notamment pour effet ce « détachement » des personnages par rapport au paysage. Enfin, les photographies, souvent prises en format panoramique, confortent cette vision en cinémascope tandis que la complexité des micros scènes incorporées à l'ensemble du scénario fonctionnent comme autant d'arrières plans d'une séquence cinématographique.
Ainsi, les photographies d'Ellen Kooi étonnent, intriguent, voire émerveillent. On se demande ce que l'on regarde, une image chimérique, parfois inquiétante ou bien une « vraie » image dont la mise en scène serait savamment orchestrée. Ellen Kooi joue constamment de ce principe et nous invite à rentrer dans son monde qui vacille entre rêve et réalité.
*la notion de « cosa mentale » que Pline a conceptualisée il y a des siècles, qui a donné suite à de multiples interprétations et que nous pourrions grossièrement réduire à une perception et un usage strictement personnels du monde qui nous entoure. (Cf : Anne Cauquelin, « L'invention du paysage », Paris, PUF, 2000, 180p).Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France