vignette et photos: © Thami Benkirane
Galerie Mohamed El Fassi 1, Rue Ghandi 10000 Rabat Maroc
Attention ! Le petit oiseau va sortir…*
Libre improvisation autour du thème de l’enfermement, chapelet d’icones métaphoriques de notre condition humaine, chacune des images de la série «Codes-Barres de la Pesanteur» de Thami Benkirane nous apparaît comme un petit monde en soi. Une «cage bidimensionnelle» en quelque sorte.
Parfois plus en phase avec un exercice documentaire, parfois plus onirique ou encore mises en scène, ces photographies témoignant du sort souvent cruel que l’on réserve à nos congénères ailés, sont individuellement comptable d’un état précis de nos empêchements, de nos blocages personnels.
© Thami Benkirane
Silhouette connue d’un mystérieux théâtre d’ombre, l’oiseau ouvre le bal de la série, il est l’annonce symbolique dessinée par la lumière, de cette tentative d’épuisement d’un lieu marocain…
L’homme à la tête de cage se montre en double, deux frères isolés et emprisonnés, chacun avec sa moue et ses propres turpitudes. L’artiste lui-même pose offrant une fixité éprouvante pour les nerfs, qui adopte une ressemblance troublante avec l’animal, une véritable tête d’oiseau. Attitude qui renvoie à la tension inévitable que l’on ressent en un lieu hermétiquement clos, que l’on soit claustrophobe ou pas.
Le format carré des photographies, utilisé dans la plupart des cas renforce cette impression.
Les sujets sont bien circonscrits et on sent l’intention de produire du sens.
Ici, l’oiseau est victime, ici il est liberté, ici on l’emprisonne, ici on le dessine ou on le peint, il incarne, virevoltant à travers les petites mises en scène du photographe les différentes relations que nous tissons avec le volatile. Parfois l’image se fait plus abstraite et nous peinons à déchiffrer le message. Les rythmes des grilles, des barres, des tiges arment une trame de lignes striant la vision qui construisent leur propre dialectique.
D’anecdotes en images plus symboliques, d’exercices «constructivistes» en formes documentaires classiques, le photographe définit mille et une variations de l’idée qu’il s’est donné à dévoiler.
Derrière la forme se cache donc un discours, par ailleurs clairement énoncé dans un texte qui vient éclairer précisément les raisons de l’auteur.
© Thami Benkirane
Fin bretteur du verbe et de l’image, Thami Benkirane est connu pour son regard aiguisé et des compositions étudiées, l’exercice de style si cher à Raymond Queneau ou Georges Perec, est aussi l’un des ses modes d’actions privilégié.
Si cette série peut dérouter dans un premier temps, du fait de sa totale hétérogénéité de forme, allant au delà de cette impression initiale, nous goûtons avec un infini plaisir la qualité des propositions de cet explorateur discret de la société contemporaine. Aux confins des styles et des genres, repoussant en permanence cette obligation quasi rituelle de la série qui adopte une déclinaison purement formelle, Thami Benkirane, iconoclaste, fait feu de tout bois pour nous dire et nous redire ce qu’il a au fond de l’âme, cette tristesse désarmante et cette révolte qui peuvent nous prendre face à la vue d’un oiseau en cage.
Si l’art a besoin de limites pour exister, limites qui lui autorisent une expression libre et profonde, l’être humain nécessite de ressentir l’absence d’entraves de façon à pouvoir par lui-même définir son champ de création.
© Thami Benkirane
* Désigne à l’origine de la photographie (XIXème siècle) un accessoire destiné à occuper l’attention des personnes photographiées, à l’époque où les temps de pose étaient très longs.