© Nicolas Bouvier
Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
Nicolas Bouvier, «L’œil du Voyageur»
Nicolas Bouvier (1929-1998) avait une formidable et profonde intelligence d’un monde qui est celui du pèlerin, du flâneur ou du nomade, puis de l’érudit qui sait par l’écriture et l’image en transcrire la philosophie, après avoir cherché dans l’autre un reflet de lui-même. Fasciné par le voyage, il prépare dès le début des années cinquante un périple qui lui fera parcourir en voiture la route de l’Orient, de Genève à Ceylan, en passant notamment par la Yougoslavie, la Macédoine, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et l’Inde. Il poursuivra ensuite sa quête jusqu’au Japon, où il séjournera régulièrement.
En 1952, un an avant son départ, Nicolas Bouvier avait interrogé Ella Maillart sur les conditions de route et de voyage jusqu’à Madras, un chemin qu’elle avait déjà parcouru deux fois, qui était alors peu ou pas fréquentable. « Partout où des hommes vivent, un voyageur peut vivre aussi », lui avait-elle répondu. Dans cette réponse laconique, mais essentielle, réside toute la philosophie qui guidera Nicolas Bouvier. Il ne tarde pas à en faire l’expérience, et écrit alors : « un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ».
De cette expérience nomade qu’il entreprend avec le peintre et dessinateur Thierry Vernet, Nicolas Bouvier écrira plus tard un livre célèbre dans la littérature de voyage, «L’Usage du Monde », qui conte avec humour, ironie et sensibilité un sens du monde puisé dans la rencontre, l’échange, l’émerveillement toujours renouvellé de la route à faire, de la découverte des paysages et des cultures. En voyageant, Nicolas Bouvier a aussi beaucoup photographié. Ecriture, poésie et photographie racontent avec le même talent le bonheur du vécu quotidien, la grandeur ou la mesquinerie des hommes. Chaque détail devient, chez Nicolas Bouvier, l’élément pertinent d’un sentiment universel. Son écriture révèle l’unité du monde telle qu’il la pense, alors que la photographie en révèle la diversité telle qu’il l’a vécue.
© Nicolas Bouvier
Les photographies de ce voyage initiatique, inédites pour la plupart, sont d’une grande simplicité. Elles révèlent parfaitement la sincérité et la jeunesse du regard de leur auteur. Les paysages transcrivent une émotion esthétique, forte et brutale, alors que les portraits laissent percevoir le dialogue et la confiance établis dans le rapport envers l’autre. La volonté affirmée de Nicolas Bouvier de conjurer la « surdité au monde » confère à ses images une authenticité essentielle, aux antipodes du tourisme actuel ou de l’acte de loisir.
Daniel Girardin, conservateur du Musée de l’Elysée, Lausanne
Photos et vignette © Nicolas Bouvier