© Gilles Caron
Musée de l'Elysée, Lausanne Avenue de l'Elysée 18 1006 Lausanne Suisse
Mémoire visuelle d’une époque, Gilles Caron (1939-1970) a relaté par l’image la chronique des grands conflits contemporains (guerres des Six Jours, du Viêt Nam, au Biafra et en Irlande du Nord, Mai 68, répression du Printemps de Prague...) Il finira par payer cet engagement de sa vie, lors d’un reportage au Cambodge.
Mobilisé comme parachutiste lors de la guerre d’Algérie, témoin des brutalités infligées aux civils, il a cherché, en se lançant dans le photojournalisme, à passer de l’autre côté de la barrière pour faire comprendre la situation de populations prises dans l’engrenage de la guerre. Une expérience dont il ne ressortira pas apaisé moralement. Parti avec une vision héroïque de la photographie de guerre, Gilles Caron finira par s’interroger sur la finalité de son métier : peut-on se contenter d’un rôle de témoin, de spectateur? Il est l’un des premiers dans la profession à présenter les symptômes d’un conflit intérieur, d’une crise morale. L’un des premiers à pratiquer une forme d’introspection désillusionnée qui mène le reporter à retourner progressivement la caméra vers lui-même, devenir l’objet du récit photographique.
© Gilles Caron
Pendant la guerre des Six Jours et au Viêt Nam, au début
de sa carrière, son intérêt se porte sur des figures inactives militaires ou prisonniers absorbées dans leurs pensées, en train de lire, d’écrire ou de méditer. Pendant la guerre du Biafra, Caron se révèle très sensible à la condition des enfants et autres victimes.
© Gilles Caron
A propos de cette attention permanente aux "gens", Michel Poivert, historien de la photographie et commissaire de l'exposition déclare:
« Il ne s’agit plus de montrer deux armées régulières sur un champ de bataille mais de décrypter visuellement l’interaction des forces, de donner à comprendre le chaos et la violence.
Pour cela, Caron comprend tout de suite qu’il faut mettre la figure du civil au centre du reportage, ce civil qui, par sa souffrance, donne à comprendre les enjeux de la guerre »
© Gilles Caron
En Mai 68 et en Irlande du Nord, il accorde beaucoup d’attention à ces acteurs emblématiques que sont les lanceurs de pavés ou de cocktails Molotov, incarnations de la guérilla urbaine. Son inventivité n’apparaît jamais mieux qu’à l’occasion des reportages réalisés dans les combats de rue, où son objectif transforme les manifestations en véritables chorégraphies.
© Gilles Caron
Reporter de guerre, régulièrement confronté à des situations extrêmes, Caron n’est pas pour autant indifférent au spectacle des sixties, à la Nouvelle Vague et à la jeune scène musicale. Il lui arrive de travailler comme photographe sur les plateaux de Godard ou de Truffaut et même comme photographe de mode. Ce détour par le cinéma et la mode peut sembler très différent du reste de son travail. Il n’est cependant pas sans laisser de traces dans son langage formel, comme en témoignent ses reportages des manifestations au Quartier latin ou en Ulster.
© Gilles Caron
L’exposition s’achève sur un portrait anti-héroïque du photoreporter. Cette conclusion, capitale pour l’histoire du photojournalisme, démontre que la conscience de Caron et d’autres photoreporters devient à la fin des années 1960 une conscience malheureuse. Culpabilité, narcissisme, parodie ou ironie... on ne sait plus vraiment quelle image ils se font finalement d’eux-mêmes.
Comme l'évoque Michel Poivert, commissaire de l'exposition «La terrible image qu’il fait de son confrère Depardon en train de filmer un enfant mourant vaut comme manifeste : le témoin est-il légitime dans une telle situation ? Pour moi, Caron ouvre le dernier grand chapitre de l’histoire du photojournalisme, celui de sa crise morale, qui n’est pas terminé»
Les images De Caron, sont aujourd'hui de véritables clés de lecture de l'histoire du photojournalisme du 20ème siècle. Pour Michel Poivert La fondation Gilles donne accès aux coulisses du photoreportage et à ce qu'il nomme «l'informe de l'information»,
«Les archives de la Fondation Gilles Caron forment une sorte de conservatoire. On y trouve aussi bien les négatifs et les planches contact, les vintages et les vues couleurs que les publications de presse et d’autres documents de compte et de commande. On peut donc reconstituer le métier du reporter sans se contenter d’une vision de la « réception » par la diffusion de la presse qui est le «produit final » du métier.»
© Gilles Caron
Regroupant 150 images et documents d’archives provenant de la Fondation Gilles Caron, de la collection du Musée de l’Elysée et de collections privées, l’exposition propose un parcours en six temps permettant de redécouvrir l’un des plus importants photoreporters du 20e siècle :
1 - Héroïsme
La conscience de l’événement
Surnommé le « Capa français » par Henri Cartier-Bresson, Caron offre sur les différents théâtres d’opération militaire des preuves de son audace et de ses qualités de reporter.
2 - Regard intérieur
L’Homme aux prises avec l’Histoire
Cette partie illustre les choix récurrents de Caron pour des figures absorbées, fragilisées par l’événement : prisonniers militaires, victimes civiles, soldats représentés en train de réfléchir et de lire, en train de contempler et de guetter, soit pour une iconographie de l’inaction inédite.
3 - Douleurs des Autres
Figures et icônes compassionnelles
Il s’agit ici de montrer la profonde sensibilité du photographe face à la douleur des autres. Le cas des enfants faméliques, la figure de l’enfance sacrifiée par les conflits marque le début d’une iconogra- phie compassionnelle moderne.
4 - Révolte
Manifs et guérillas :
l’icône du lanceur
Dans ses portaits de révoltés (ouvriers, paysans, étudiants), Caron accorde une importance particulière à la figure du lanceur : David contre Goliath. Cette représentation des corps au combat s’offre comme une chorégraphie qu’il décline de Paris, en Mai 68 à Londonderry et à Prague.
5 - Nouvelle Vague
Passion de la jeunesse sixties
Caron donne une représentation de la jeunesse qui passe aussi bien par les égéries sixties (les actrices, les chanteuses) que par la rue et les universités. De plus, il connaît l’expérience des reportages sur les tournages de Truffaut et Godard.
6 - La dernière image
Le reporter comme objet du reportage
Après le Biafra et le Tchad, le doute s’installe. L’objectif de l’appareil se retourne vers le reporter et ses confrères. Les images de reportage documentent l’acte même du photoreporter. C’est un portrait en demi-teinte, anti-héroïque, que Caron nous livre du métier de photojournaliste.
Comme le témoigne Michel Poivert, «C’est là le profond intérêt de ce photographe : cultivé et formé à l’esprit critique, la guerre moderne lui permet de réfléchir, au sens propre du terme, au rôle qu’il joue dans le système de l’information.»
En s'interrogeant sur son métier et «sur la place qu'il doit prendre», Gilles Caron nous renvoie également à la notre de spectateur.
© Gilles Caron
Phill Niblock
" Nothin’ but Working" est une rétrospective autour de l'oeuvre de Phill Niblock, présenté du 30 janvier au 12 mai 2013
Né en 1933, Phill Niblock propose depuis plus de 50 ans au travers d’un « Art Intermedia » une œuvre pluridisciplinaire. Associant musique minimaliste, art conceptuel, cinéma structurel, art systématique ou encore politique, Niblock s’active à transformer notre perception et notre expérience du temps.
© Phill Niblock - Japan 89, 1989
Sur une proposition de Circuit, les photographies, films, installa- tions et l’intégralité de sa musique enregistrée sont réunis au sein de cette première exposition rétrospective consacrée à l’entier de l’œuvre de Phill Niblock. Cette exposition de Mathieu Copeland est présentée conjointement à Circuit, centre d’art contemporain et au Musée de l’Elysée à Lausanne.
Reconnu comme l’un des grands compositeurs expérimentaux de notre époque, Phill Niblock débute sa carrière artistique comme photographe. Originaire d’Indianapolis, passionné de jazz, il s’installe à New York en 1958. Niblock débute la photographie en 1960 et pendant quatre ans se spécialise dans les portraits des musiciens de jazz tels que Charles Mingus, Billy Strayhorn et Duke Ellington, qu’il accompagne fréquemment en enregistrement et en concert. Au milieu des années 1960, il passe de la photogra- phie au film et, au contact de la chorégraphe et fondatrice d’Expe- rimental Intermedia, Elaine Summers, devient caméraman pour les danseurs et chorégraphes du Judson Church Theater, dont Yvonne Rainer et Meredith Monk. A partir de 1968, Niblock se consacre à la musique et compose ses premières pièces qui doivent — comme le précise l’artiste — être écoutées à fort volume pour en explorer les surharmoniques (overtones).
Depuis le milieu des années 1960, son oeuvre photographique réalisée en argentique dépeint l’architecture et l’urbanisme new-yorkais. La séquence et l’agencement des vues proposent une cartographie du lieu et de l’objet photographiés, tels que les édifices abandonnés de Welfare Island (aujourd’hui Roosevelt Island) en 1966, le quartier désaffecté au sud du Bronx en 1979 ou les façades du district de SoHo Broadway en 1988. A partir de 1966, Niblock s’engage dans une réflexion sur la production d’images en mouvement au travers de séries de films et suites de diapositives. Produit entre 1966 et 1969, Six Films, une suite de courts métrages sonores réalisés en 16 mm, annonce sa démarche expérimentale au travers de portraits d’artistes et musiciens, dont Sun Ra etMax Neuhaus.
Dès 1968, l’artiste expérimente l’association de ses productions visuelles à son œuvre musicale pour créer des compositions architecturales et environnementales. La série des Environments, recréée au Musée de l’Elysée par l’artiste pour la première fois depuis sa dernière présentation en 1972, extrait, par l’image,
la réalité de plusieurs environnements, tout en créant un environne- ment temporaire dense et intense d’images projetées, de musique et de mouvements dans l’espace du musée.
© Phill Niblock - Streetcorners in the South Bronx, 1979
© Phill Niblock - Duke Ellington in control booth, 1962
Plus d'informations sur http://www.elysee.ch/
Photos et vignette © Gilles Caron © Phill Niblock