© Philippe Guionie / M.Y.O.P.
Institut français du Congo Espace André Malraux Place de la République Brazzaville Congo
C'est un condensé d'Afrique et du Congo. Quelques centaines de personnes vivent à l'Unité d'habitation Air France, une sorte de vaisseau amiral aux lignes futuristes dédié à la gloire d'Air France, aujourd'hui quasiment à l'abandon.
Ce bâtiment achevé en 1952 est l’œuvre de 4 architectes français J.Hébrard, J.Lefebvre, Létu et Bienvenu, disciples de Le Corbusier, qui conçoivent une «unité d’habitation» destinée au personnel européen local de la compagnie aérienne Air France. Long de 140 m et composé de 63 logements, il est une référence explicite à la «Cité radieuse» de Marseille dessinée par Le Corbusier. Les principes sur le soleil, la lumière et l’aménagement de l’espace y sont clairement retranscrits poussant à l’extrême le souci d’adaptation au milieu tropical des canons de l’architecture moderne alors en vogue : aération naturelle par brise-soleil mobiles, orientation de l’immeuble selon les vents dominant du nord-est, choix des matériaux de revêtement. De grands noms du design (Charlotte Perriand, Jean Prouvé...) ont mis leur talent au service de ce geste architectural, apportant ainsi un formidable supplément esthétique au décor du voyage aérien et inscrivant l'unité d'habitation Air France dans une modernité avant-gardiste. Occupé par des militaires durant la guerre civile de la fin des années 1990, il accueille aujourd'hui des familles de fonctionnaires congolais. Surnommé «l'immeuble rouge» par la population, l'Unité d'habitation Air France ne bénéficie d'aucun entretien de la part de l'Etat congolais, propriétaire du bâtiment. Il est dans un état bien délabré : le toit terrasse qui faisait sa renommée internationale est très dégradé suite aux nombreuses infiltrations d'eau, les pataugeoires servent de poubelles, les quatre cheminées imaginées pour faciliter la ventilation naturelle de l'air sont obstruées par des nids d'abeilles. Ce bâtiment emblématique est un chef-d'oeuvre en péril. D'une manière plus générale, son état délabré pose la question du devenir des architectures coloniales ou post-coloniales et de leur appropriation par les populations et les élites locales.
© Philippe Guionie / M.Y.O.P.
En photographiant la vie quotidienne et l'intimité familiale des résidents, le photographe questionne ce condensé d'humanités, sans misérabilisme mais avec dignité. Il pose un regard contemporain et distancié sur un lieu témoin d'une époque révolue, nous proposant un huit-clos singulier à l'échelle d'un bâtiment mythique.
Cette série inédite a été réalisée dans le cadre d'une résidence photographique en septembre 2012. Elle est la première étape d'un projet panafricain sur trois ans (Sénégal, Mali, Guinée, RDC, Angola, Maroc, Mozambique, Ethiopie).
Historien de formation, Philippe Guionie revendique une photographie documentaire autour des thèmes de la mémoire et des constructions identitaires. Son mode principal de figuration est le portrait. Son postulat photographique : poser des visages sur des mémoires humaines qui n'en ont pas, en associant souvent photographies et enregistrements sonores. Photographe engagé, Philippe Guionie écrit en photographie une histoire humaine et l’inscrit dans le temps, celui de la mémoire partagée et celui du temps présent.
Auteur de plusieurs ouvrages - "Anciens combattants africains", "Un petit coin de paradis" (Les Imaginayres/Diaphane, 2006), Africa-America (Diaphane éditions, 2011) - ses sujets personnels sont présentés dans des galeries et festivals, en France et à l’étranger (Rencontres d'Arles, festival Images singulières à Sète, galerie du Château d'Eau à Toulouse, galerie Polka à Paris, festival de la photographie de Tbilissi en Géorgie, instituts culturels français en Afrique et en Amérique du Sud,...). Lauréat de plusieurs prix photographiques dont le Prix Roger Pic 2008 pour la série “le tirailleur et les trois fleuves”, Philippe Guionie est chargé des cours de sémiologie de l’image à l’école de formation de la photographie et du multimédia (ETPA) à Toulouse. Il est membre de l'agence M.Y.O.P. depuis 2009 et représenté par la galerie Polka à Paris.
Publication du reportage (texte et photographies) dans le numéro de Polka magazine à paraître le 21 février 2013
Vignette & photo © Philippe Guionie / M.Y.O.P