Manifestation rue Saint-Jacques, Paris, 6 mai 1968 © Fondation Gilles Caron
Expositions du 30/1/2013 au 12/5/2013 Terminé
Musée de l'Elysée 18, avenue de l'Elysée 1014 Lausanne Suisse
Musée de l'Elysée 18, avenue de l'Elysée 1014 Lausanne Suisse
Mémoire visuelle d’une époque, Gilles Caron (1939-1970) a relaté par l’image la chronique des grands conflits contemporains (guerres des Six Jours, du Viêt Nam, au Biafra et en Irlande du Nord, Mai 68, répression duPrintemps de Prague...) Il finira par payer cet engagement de sa vie, lors d’un reportage au Cambodge.
Mobilisé comme parachutiste lors de la guerre d’Algérie, témoin des brutalités infligées aux civils, il a cherché, en se lançant dans le photojournalisme, à passer de l’autre côté de la barrière pour faire comprendre la situation de populations prises dans l’engrenage de la guerre. Une expérience dont il ne ressortira pas apaisé moralement. Parti avec une vision héroïque de la photographie de guerre, Gilles Caron finira par s’interroger sur la finalité de son métier : peut-on se contenter d’un rôle de témoin, de spectateur? Il est l’un des premiers dans la profession à présenter les symptômes d’un conflit intérieur, d’une crise morale. L’un des premiers à pratiquer une forme d’introspection désillusionnée qui mène le reporter à retourner progressivement la caméra vers lui-même, devenir l’objet du récit photographique.
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Pendant la guerre des Six Jours et au Viêt Nam, au début de sa carrière, son intérêt se porte sur des figures inactives —militaires ou prisonniers— absorbées dans leurs pensées, en train de lire, d’écrire ou de méditer. Pendant la guerre du Biafra, Caron se révèle très sensible à la condition des enfants et autres victimes. En Mai 68 et en Irlande du Nord, il accorde beaucoup d’attention à ces acteurs emblématiques que sont les lanceurs de pavés ou de cocktails Molotov, incarnations de la guérilla urbaine. Son inventivité n’apparaît jamais mieux qu’à l’occasion des reportages réalisés dans les combats de rue, où son objectif transforme les manifestations en véritables chorégraphies.
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Bataille de Dak To, Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Reporter de guerre, régulièrement confronté à des situations extrêmes, Caron n’est pas pour autant indifférent au spectacle des
sixties, à la Nouvelle Vague et à la jeune scène musicale. Il lui arrive de travailler comme photographe sur les plateaux de Godard ou de Truffaut et même comme photographe de mode. Ce détour par le cinéma et la mode peut sembler très différent du reste de son travail. Il n’est cependant pas sans laisser de traces dans son langage formel, comme en témoignent ses reportages des manifestations au Quartier latin ou en Ulster.
Marie-France Pisier et Jean-Louis Trintignant dans Trans Europe Express d’Alain Robbe-Grillet, mai 1966
© Fondation Gilles Caron
L’exposition s’achève sur un portrait anti-héroïque du photoreporter. Cette conclusion, capitale pour l’histoire du photojournalisme, démontre que la conscience de Caron et d’autres photoreporters devient à la fin des années 1960 une conscience malheureuse. Culpabilité, narcissisme, parodie ou ironie… on ne sait plusvraiment quelle image ils se font finalement d’eux-mêmes.
Le cinéaste et photographe Raymond Depardon, pendant la guerre civile au Biafra, Nigéria, août 1968
© Fondation Gilles Caron
Regroupant 150 images et documents d’archives provenant de la Fondation Gilles Caron, de la collection du Musée de l’Elysée
et de collections privées, l’exposition propose un parcours en six temps permettant de redécouvrir l’un des plus importants photoreporters du 20e siècle :
1 - Héroïsme
La conscience de l’événement
Surnommé le « Capa français » par Henri Cartier-Bresson, Caron offre sur les différents théâtres d’opération militaire des preuves de son audace et de ses qualités de reporter.
2 - Regard intérieur
L’Homme aux prises avec l’Histoire
Cette partie illustre les choix récurrents de Caron pour des figures absorbées, fragilisées par l’événement : prisonniers militaires, victimes civiles, soldats représentés en train de réfléchir et de lire, en train de contempler et de guetter, soit pour une iconographie de l’inaction inédite.
3 - Douleurs des Autres
Figures et icônes compassionnelles
Il s’agit ici de montrer la profonde sensibilité du photographe face à la douleur des autres. Le cas des enfants faméliques, la figure de l’enfance sacrifiée par les conflits marque le début d’une iconographie compassionnelle moderne.
4 - Révolte
Manifs et guérillas : l’icône du lanceur
Dans ses portaits de révoltés (ouvriers, paysans, étudiants), Caron accorde une importance particulière à la figure du lanceur : David contre Goliath. Cette représentation des corps au combat s’offre comme une chorégraphie qu’il décline de Paris, en Mai 68 à Londonderry et à Prague.
5 - Nouvelle Vague
Passion de la jeunesse sixties
Caron donne une représentation de la jeunesse qui passe aussi bien par les égéries sixties (les actrices, les chanteuses) que par la rue et les universités. De plus, il connaît l’expérience des reportages sur les tournages de Truffaut et Godard.
6 - La dernière image
Le reporter comme objet du reportage
Après le Biafra et le Tchad, le doute s’installe. L’objectif de l’appareil se retourne vers le reporter et ses confrères. Les images de
reportage documentent l’acte même du photoreporter. C’est un portrait en demi-teinte, anti-héroïque, que Caron nous livre du métier de photojournaliste.
Viêt Nam, novembre 1967 © Fondation Gilles Caron
Biographie de Gilles Caron
(1939-1970)
1939 8 juillet : Gilles Caron naît à Neuilly-sur-Seine.
1946 à la suite de la séparation de ses parents, Gilles est envoyé en pension à Argentière (Haute Savoie). Il y restera cinq ans.
1954 rencontre André Charlemagne Derain, fils du grand peintre fauviste, à l’Ecole anglaise de Port-Marly, Yvelines.
1958 Gilles fait un an d’études supérieures de journalisme à l’Ecole des hautes études internationales à Paris. Voyage en Yougoslavie, Turquie et Inde en auto-stop.
1959 Gilles passe son brevet de parachutiste civil. Service militaire de vingt-huit mois, dont vingt-deux en Algérie. Gilles fait deux mois de prison à la suite de son refus de combattre après le putsch d’Alger.
1962 Gilles termine son service avec interdiction de port d’arme. A son retour en France, il épouse Marianne. Ils se connaissent depuis qu’ils ont treize ans et demie.
1964 Gilles fait un stage chez Patrice Molinard, photographe de publicité et de mode.
1965 Gilles entre à l’agence Apis (Agence Parisienne d’Information Sociale). Tournages de films, premières de spectacles, réunions de conseil des ministres et manifestations. Rencontre Raymond Depardon.
août : tournage de La guerre est finie d’Alain Resnais.
1966 19 février Gilles fait la une de France-Soir avec Marcel Leroy-Finville (écroué dans le cadre de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka) durant sa promenade à la prison de la Santé.
mai : Gilles travaille à Paris pour l’agence de mode Photographic Service dirigée par Giancarlo Botti.
décembre : Gilles rejoint l’équipe fondatrice de Gamma, Raymond Depardon, Hubert Henrotte, Jean Monteux et Hugues Vassal.
1967 tournage de Week-end de Jean-Luc Godard.
5-10 juin : guerre des Six-Jours : Gilles entre à Jérusalem avec l’armée israélienne puis gagne le Canal de Suez avec les forces du général Ariel Sharon. La publication de ses images dans Paris Match fait de l’agence Gamma la première agence mondiale.
novembre et décembre : Gilles est au Viêt Nam notamment à Dak To, durant l’une des batailles les plus dures du conflit (colline 875).
1968 février : tournage de Baisers Volés de François Truffaut.
avril : Gilles couvre la guerre civile au Biafra. Il se retrouve aux côtés de Don McCullin, son rival et ami, qui travaille pour le Sunday Times Magazine de Londres.
mai : début des révoltes étudiantes à Paris qui gagnent toute la France et provoquent une grève générale. Gilles couvre au quotidien les manifestations étudiantes à Paris; suit le président Charles de Gaulle en visite officielle en Roumanie entre le 14 et le 18 mai.
juillet : deuxième voyage au Biafra, cette fois avec Raymond Depardon. Tournage de Slogan de Pierre Grimblat, rencontre de Jane Birkin et Serge Gainsbourg.
septembre : Gilles se rend à Mexico à la suite de manifestations estudiantines violemment réprimées à la veille des Jeux Olympiques.
novembre : troisième reportage au Biafra.
décembre : Gilles est en Guinée portugaise.
1969 août : Gilles couvre les manifestations catholiques à Londonderry et Belfast en Irlande du Nord. Quelques jours plus tard, il suit l’anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague, en Tchécoslovaquie, par les chars soviétiques. Dans son numéro du 30 août, Paris Match publie simultanément les deux reportages.
1970 janvier-février : Gilles fait partie d’une expédition dans le Tibesti tchadien organisée par Robert Pledge, avec Raymond Depardon et Michel Honorin, pour couvrir la rébellion des Toubous contre le pouvoir central de Fort Lamy (N’djamena) soutenu par le gouvernement français. Tombés dans une embuscade, les quatre journalistes sont retenus un mois prisonniers par les forces gouvernementales.
avril : Gilles se rend au Cambodge au lendemain de la déposition du prince Norodom Sihanouk par le général Lon Nol. Le 5 avril, premier d’une vingtaine de journalistes et de coopérants de toutes nationalités, il disparaît avec deux autres Français, le reporter Guy Hannoteaux et le coopérant Michel Visot, sur la route n°1 qui relie le Cambodge au Viêt Nam dans une zone contrôlée par les Khmers rouges de Pol Pot. Il a 30 ans.
Transport d’une victime de la famine due à la guerre civile au Biafra, Nigéria, juillet 1968 © Fondation Gilles Caron
Vignette et photos © Fondation Gilles Caron
métier de photojournaliste.Mémoire visuelle d’une époque, Gilles Caron
(1939-1970) a relaté par l’image la chronique
des grands conflits contemporains (guerres
des Six Jours, du Viêt Nam, au Biafra et en
Irlande du Nord, Mai 68, répression du
Printemps de Prague...) Il finira par payer
cet engagement de sa vie, lors d’un reportage au Cambodge.
Mobilisé comme parachutiste lors de la guerre d’Algérie, témoin
des brutalités infligées aux civils, il a cherché, en se lançant dans
le photojournalisme, à passer de l’autre côté de la barrière pour
faire comprendre la situation de populations prises dans l’engrenage de la guerre. Une expérience dont il ne ressortira pas apaisé
moralement. Parti avec une vision héroïque de la photographie
de guerre, Gilles Caron finira par s’interroger sur la finalité de son
métier : peut-on se contenter d’un rôle de témoin, de spectateur?
Il est l’un des premiers dans la profession à présenter les symptômes d’un conflit intérieur, d’une crise morale. L’un des premiers
à pratiquer une forme d’introspection désillusionnée qui mène le
reporter à retourner progressivement la caméra vers lui-même,
devenir l’objet du récit photographique.
Pendant la guerre des Six Jours et au Viêt Nam, au début
de sa carrière, son intérêt se porte sur des figures inactives
—militaires ou prisonniers— absorbées dans leurs pensées,
en train de lire, d’écrire ou de méditer. Pendant la guerre du Biafra,
Caron se révèle très sensible à la condition des enfants et autres
victimes. En Mai 68 et en Irlande du Nord, il accorde beaucoup
d’attention à ces acteurs emblématiques que sont les lanceurs
de pavés ou de cocktails Molotov, incarnations de la guérilla
urbaine. Son inventivité n’apparaît jamais mieux qu’à l’occasion
des reportages réalisés dans les combats de rue, où son objectif
transforme les manifestations en véritables chorégraphies.
Reporter de guerre, régulièrement confronté à des situations
extrêmes, Caron n’est pas pour autant indifférent au spectacle des
sixties, à la Nouvelle Vague et à la jeune scène musicale. Il lui arrive
de travailler comme photographe sur les plateaux de Godard ou
de Truffaut et même comme photographe de mode. Ce détour par
le cinéma et la mode peut sembler très différent du reste de son
travail. Il n’est cependant pas sans laisser de traces dans son
langage formel, comme en témoignent ses reportages des
manifestations au Quartier latin ou en Ulster.
L’exposition s’achève sur un portrait anti-héroïque du photoreporter. Cette conclusion, capitale pour l’histoire du photojournalisme,
démontre que la conscience de Caron et d’autres photoreporters
devient à la fin des années 1960 une conscience malheureuse.
Culpabilité, narcissisme, parodie ou ironie… on ne sait plus
vraiment quelle image ils se font finalement d’eux-mêmes.
Regroupant 150 images et documents
d’archives provenant de la Fondation Gilles
Caron, de la collection du Musée de l’Elysée
et de collections privées, l’exposition
propose un parcours en six temps permettant de redécouvrir l’un des plus importants
photoreporters du 20
e
siècle :
1 - Héroïsme
La conscience de l’événement
Surnommé le « Capa français » par Henri Cartier-Bresson, Caron
offre sur les différents théâtres d’opération militaire des preuves de
son audace et de ses qualités de reporter.
2 - Regard intérieur
L’Homme aux prises avec l’Histoire
Cette partie illustre les choix récurrents de Caron pour des figures
absorbées, fragilisées par l’événement : prisonniers militaires,
victimes civiles, soldats représentés en train de réfléchir et de lire,
en train de contempler et de guetter, soit pour une iconographie de
l’inaction inédite.
3 - Douleurs des Autres
Figures et icônes compassionnelles
Il s’agit ici de montrer la profonde sensibilité du photographe face
à la douleur des autres. Le cas des enfants faméliques, la figure de
l’enfance sacrifiée par les conflits marque le début d’une iconographie compassionnelle moderne.
4 - Révolte
Manifs et guérillas : l’icône du lanceur
Dans ses portaits de révoltés (ouvriers, paysans, étudiants), Caron
accorde une importance particulière à la figure du lanceur : David
contre Goliath. Cette représentation des corps au combat s’offre
comme une chorégraphie qu’il décline de Paris, en Mai 68
à Londonderry et à Prague.
5 - Nouvelle Vague
Passion de la jeunesse sixties
Caron donne une représentation de la jeunesse qui passe aussi
bien par les égéries sixties (les actrices, les chanteuses) que par la
rue et les universités. De plus, il connaît l’expérience des
reportages sur les tournages de Truffaut et Godard.
6 - La dernière image
Le reporter comme objet du reportage
Après le Biafra et le Tchad, le doute s’installe. L’objectif de l’appareil
se retourne vers le reporter et ses confrères. Les images de
reportage documentent l’acte même du photoreporter. C’est un
portrait en demi-teinte, anti-héroïque, que Caron nous livre du
métier de photojournaliste.