© Graciela Iturbide
Box Galerie 102 chaussée de Vleurgat 1050 Bruxelles Belgique
À l’inverse de Graciela Iturbide (México, 1942), peu de photographes contemporains peuvent se prévaloir d’une œuvre jalonnée d’un nombre aussi important d’icônes quasi universelles.
Qu’il s’agisse de la matrone coiffée d’une couronne d’iguanes vivants, de la jeune fille traversant le désert avec pour seul bagage un improbable radio-cassette, ou encore de cet homme entre deux âges contemplant, incrédule, l’envol d’une bande d’oiseaux, ce sont autant d’images immédiatement et à jamais gravées dans nos mémoires.
Celle qui fut l’élève, puis l’assistante de Manuel Álvarez Bravo – avant d’être reconnue comme son héritière spirituelle – figure aujourd’hui sans nul doute comme la plus digne représentante, en matière de photographie, de ce réalisme magique qui semble marquer de son sceau les formes les plus diverses de l’art et de la culture latino-américains et plus encore
ce qui nous vient du Mexique.
Les membres du jury de la fondation Hasselblad ne s’y sont pas trompés, lui décernant en 2008 le très prestigieux Hasselblad Award.
Ici, pas besoin de mise en scène, de détournement du réel : il suffit de regarder d’un œil attentif et prédisposé pour que tout paraisse relever du rêve, de la légende, d’un monde à l’écart du monde. Comme si le Mexique figurait un théâtre à grande échelle, comme si ses habitants avaient endossé les défroques adéquates pour jouer sur une scène où l’on passerait sans transition de la comédie la plus burlesque au drame le plus sombre.
Longtemps, Graciela Iturbide fut surtout connue pour une série réalisée à Juchitán, cette petite ville de l’État d’Oaxaca principalement régie par ses habitantes – sans que l’on puisse pour autant parler de matriarcat mais de la perpétuation de lointaines structures sociales zapotèques.
Mais il n’y a pas que Juchitán et ses maîtresses-femmes. L’œuvre recèle bien d’autres joyaux, diamants bruts, sans la moindre afféterie.
Iturbide aime son peuple et sa vie sans luxe. Elle aime ces enfants aux ailes immaculées, angelots pas encore confrontés aux réalités adultes, ces hommes aux visages burinés par trop de soleil et trop de misère, ces êtres frustes qui vont à l’essentiel et dialoguent avec la mort.
Tout ici relève de l’union bénie entre les éclairs du poète et la rigueur de l’anthropologue attaché aux rites et aux coutumes. Le temps est confiné à une autre dimension, absent de ces images qui nous emmènent vers un ailleurs à la fois onirique et bien ancré dans le réel.
Depuis quelque temps déjà, Iturbide a élargi son territoire photographique, opérant désormais aux États-Unis, en Italie ou en Inde et privilégiant le carré du moyen format.
Si la photographe fut un temps attachée à son médium pour ses vertus cathartiques – il s’agissait pour elle de conjurer le sort de la perte d’un enfant –, sa pratique s’est muée en une célébration de la vie, souvent symbolisée par des images d’oiseaux, plus souvent encore par des images d’oiseaux en plein vol. Elle les surprend où qu’elle soit, où qu’elle aille, feux d’artifices vivants, nuages, tornades…
À défaut d’ailes, Graciela Iturbide vole grâce à ses yeux. Ce sont eux qui la libèrent de la pesanteur, qui lui permettent de voyager, qui lui permettent de poser un regard à la fois distant et plein d’humanité sur le monde.
Et, généreusement, elle nous invite à partager ses émerveillements.
Alain D’Hooghe
© Graciela Iturbide
Biographie
1942 Naissance le 16 mai à México City.
1969-72 Est inscrite au centre universitaire d’études cinématographiques de l’université nationale autonome de México ; elle y rencontre Manuel Álvarez Bravo qui lui propose de devenir son assistante.
1974 Voyage à Panamá, reportage sur le pays, la population, le leader (général Omar Torrijos).
1979 Premier voyage à Juchitán, Oaxaca, sur l’invitation de Francesco Toledo. Elle y retourne régulièrement pendant dix ans. Partage également, plus d’un mois, la vie des Indiens seri, dans le désert de Sonora, au nord-ouest du Mexique, à la frontière de l’Arizona.
1982 Invitée à Cuba et en Allemagne de l’Est.
1989 Publication du livre Juchitán de las mujeres.
1990 Elle se rend dans la région mixtèque (La Mixteca) en octobre pour assister à l’abattage rituel des chèvres, qui dure quatre jours. Travaille avec Médecins sans frontières à Madagascar.
1994 Reportage sur la campagne en Hongrie.
1995 Artiste en résidence à Paris.
1997 Voyage pendant un mois et demi dans le Sud des États-Unis. Premier voyage en Inde. Y retourne en 1999. Commence à photographier le jardin botanique de Oaxaca.
2006 Photographie la salle de bains de Frida Kahlo à Casa Azul, fermée depuis sa mort en 1954.
2007 Commence des projets photographiques à Rome et en Sardaigne.
© Graciela Iturbide
Photos et vignett © Graciela Iturbide