© Matthieu Gafsou
Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg Rue Joseph-Piller 2 1700 Fribourg Suisse
8e Enquête Photographique Fribourgeoise : une exposition et un catalogue
En 1996, le Service de la culture du canton de Fribourg créait « l’Enquête Photographique Fribourgeoise ». A l’issue d’un concours, il confie, tous les deux ans, à un photographe la réalisation d’une enquête photographique sur un sujet documenté. Celle-ci fait ensuite l’objet d’une exposition qui est conservée à la Bibliothèque cantonale et universitaire et éventuellement d’une publication. Cette initiative s’inscrit dans une politique d’encouragement à la création et permet également de constituer un patrimoine photographique contemporain consacré à un canton.
La 1ère « Enquête Photographique Fribourgeoise », en 1997, a été réalisée par Marco Paoluzzo.
Intitulée « Paysages fribourgeois », elle a constitué, en 1998, le premier ouvrage de la collection. La 2ème, en 2000, a été confiée à Christoph Schütz et a été publiée sous le titre « Fribourg sur scène ». La 3ème, « Intérieurs fribourgeois », révélait des intérieurs d’habitations par l’objectif de Caroline Wagschal. La 4ème , « Fenils », réalisée par Christophe Dutoit, livrait la subtile poésie de ces petites granges à foin. En 2006, c’est Nicolas Savary qui fut le lauréat avec « L’âge critique » traitant des adolescents et de leur espace quotidien que représentent l’école et son architecture. Avec « Paysages occupés » Yves André montrait, en 2008, l’occupation de plus en plus importante du paysage par des constructions. En 2010, la 7ème enquête, « Chasses » confiée à Anne Golaz, témoignait de la pratique de l’art cynégétique dans le canton et s’interrogeait sur nos rapports à la nature, aux bêtes et à la mort.
L’« Enquête » 2012, réalisée par Matthieu Gafsou, présente l’Église catholique dans une démarche documentaire subjective et d’une grande rigueur formelle. En débusquant les signes du sacré dans un langage visuel puissant, froid et contemplatif, l’Église y apparaît hors du temps et déconnectée de notre quotidien et de nos préoccupations. À raison ? Matthieu Gafsou a réalisé les images de cette enquête photographique fribourgeoise entre septembre 2011 et novembre 2012, uniquement sur le territoire cantonal. Il a usé de deux stratégies distinctes pour réaliser ses images. D’un côté, des images «planifiées» qu’il est allé glaner lors d’événements importants de la communauté catholique romaine (ordination épiscopale, période de Noël,...) ou dans des lieux qui lui semblaient importants (musée d’art et d’histoire, chapelle de la Madeleine,...). Il a sciemment évité certaines évidences, dont l’iconographie est déjà abondante et qui lui semblaient moins intéressantes que des lieux peu connus. On ne verra donc pas de traces de l’abbaye de la Maigrauge, d’Hauterive ou du couvent de Montorge. D’un autre côté, Gafsou a silloné le canton en voiture, au hasard, de long en large, de village en village, d’église en église, véritablement à la façon d’un enquêteur mais qui n’aurait pas le souci de l’exhaustivité, encore moins celui de la vérité. Toutes les parties du canton sont représentées, certaines plus que d’autres mais sans aucun a priori. Il s’agissait pour le photographe de construire son histoire du catholicisme à Fribourg. L’exposition présente un large extrait de la série, intitulée «Sacré», dont l’ensemble est à découvrir dans le livre édité par la BCU & IdPure.
© Matthieu Gafsou
Le photographe
Matthieu Gafsou (1981, CH/F) vit et travaille à Lausanne. Suite à une formation universitaire (master en histoire et esthétique du cinéma, philosophie et littérature), il a étudié la photographie à l’Ecole d’arts appliqués de Vevey (2006-2008). Il participe depuis 2006 à de nombreuses expositions collectives et personnelles en Europe et aux Etats-Unis. Il a reçu en 2009 le prix de la Fondation HSBC pour la photographie et figure dans l’exposition reGeneration2, organisée par le musée de l’Elysée et qui présente les photographes de demain du monde entier. Il a publié «Surfaces», chez Actes Sud en 2009 et «Alpes» chez 19/80 en 2012. Depuis cette même année, il enseigne à la Haute école d’art de Lausanne (ECAL).
© Matthieu Gafsou
Note d’intention
« Fribourg est un canton dont la place au sein de l’Eglise catholique romaine est centrale : formation des prêtres, conférence des évêques suisses, diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg... Le catholicisme représente indéniablement, que l’on soit ou non croyant, l’un des piliers fondateurs de notre culture, particulièrement dans les régions qui, à l’instar de Fribourg, ont vu cette religion rester dominante. Les catholiques ont l’image d’un groupe conservateur, traditionnel, qui ne parvient pas à s’adapter au monde contemporain. Pourtant, cette religion est aussi et toujours un ciment social, participant activement au soutien des plus fragiles et à la transmission d’un message d’amour. J’ai décidé de travailler sur ce sujet qui me semblait passionnant à divers égards (cuturel, artistique, philosophique) sans a priori de départ ni la volonté d’orienter mon propos photographique dans une direction prédéterminée. Je me suis intéressé aux rituels, aux objets, à l’architecture, aux hommes: à tous les vecteurs du sacré. Sur le plan formel, je suis parti d’un simple postulat : l’Eglise repose notamment sur des couples dichotomiques comme sacré /profane, mort/vie, ciel/terre, péché/pardon et, de manière quelque peu simplifiée, noir/blanc. Ce principe antinomique sert de fil conducteur de toute la série, j’oscille entre vives clartés et ténèbres. Mon objectif a d’emblée été de rompre avec les canons photographiques de l’Eglise catholique, qui flirtent souvent avec l’angélisme. J’ai préféré assumer un travail lacunaire et subjectif. Dès le début, mon but a été de développer mon propre langage en disposant d’une palette aussi large que possible. Afin de ne pas tomber dans la surcharge formelle, j’ai adopté une posture aussi neutre que possible pour que l’ensemble renvoie à une forme d’évidence et de simplicité. Les symboles religieux sont des sujets difficiles à manier, car ils sont largement convoqués par des artistes ou par la publicité. Combien de fois, des photographes ont détourné la Sainte Cène, quelquefois avec brio? Cette esthétique est tellement omniprésente dans notre monde visuel, qu’il est presque devenu impossible de s’en libérer. On en vient même à l’imiter inconsciemment. Il s’agissait constamment de se méfier des codes plébiscités dans la presse ou de tomber dans le pastiche. Au contraire, en refusant le travestissement, j’essaie de rendre le discours moins évident, plus complexe et ambivalent. Si les symboles religieux pourront sembler travestis, c’est parce qu’ils sont isolés, décontextualisés. Les murs des couvents s’effritent, la relève ecclésiastique n’est pas assurée, parfois l’argent manque... Cette situation de l’Eglise est à la fois tragique et extrêmement poétique. Tout cela provoque une détresse sourde qui me touche beaucoup. Elle procure le sentiment d’entrer dans ce temps infini qu’est la mort. En côtoyant l’Eglise catholique, j’ai été confronté frontalement de nombreuses fois à la mort. Cercueils (ouverts) dans des chapelles mortuaires, reliquaires, gisant… On peut ressentir un aspect triste et funèbre dans mes images mais cette relation quasi permanente avec la mort contraint plutôt à nous libérer du superficiel et du superflu. La mort comme métaphore est également présente en permanence dans l’esprit des religieux. Il y a comme une ambiance de fin de règne dans cette Eglise et il fallait la figurer. » (M. Gafsou)