© Estelle Lagarde
Atelier Publimod 26 rue de sevigne 75004 Paris France
La fiction est au cœur de l’œuvre d’Estelle Lagarde. Depuis 1996, ses débuts d’auteur dans la photographie, la mise en scène est sa matière première, bien au delà de sa manière. Elle part de la réalité pour nous conduire vers le rêve, l’absurde, l’incongru.
De «Dame des Songes» en «Contes Sauvages», d’«Hôpital» en «Maison d’Arrêt» (série inédite), c’est par le biais de l’étrange et de l’onirique qu’elle semble vouloir regarder et éprouver le monde qui l’entoure. Ce monde qui est aussi le nôtre.
Estelle Lagarde joue avec le temps et la lumière. Basée sur une durée de pause plus ou moins longue, la technique de l’artiste génère des lumières irréelles, enveloppe les personnages d’un halo mystérieux et fragile. Toutes les photographies sont réalisées à la chambre, sur tirages argentiques. La rencontre avec un lieu est le facteur déclenchant et tangible d’une construction visuelle, d’une plongée dans la fiction, et dans un mouvement retour, d’une possible interrogation du réel. Son œil de photographe est aussi celui d’une architecte : sur le terrain, en découvrant des bâtiments en passe d’être détruits, réhabilités et destinés à une nouvelle vocation, naît l’idée d’une nouvelle mise en scène.
Cette nouvelle série, « Lundi matin », est d’abord la découverte d’un étonnant garage automobile abandonné. Le lieu d’une activité que l’on devine intense, laissé à l’abandon, et depuis régulièrement visité par des tagueurs et des graffeurs, dont le sol semble peu à peu se recouvrir d’éléments végétaux en phase de décomposition.
C’est ce théâtre qu’Estelle Lagarde choisit pour évoquer à sa manière la crise économique qui perdure, la menace du chômage, le harcèlement, la dépression dans le monde de l’entreprise.
© Estelle Lagarde
La narration d’une semaine de travail lie les images entre elles. Chacune d’elles, de manière symbolique, mais également à échelle humaine, fait référence aux tourments auxquels est soumise notre société dans son ensemble, comme aux conséquences les plus quotidiennes et banalement douloureuses. À chaque jour suffit sa peine... et à chaque image d’Estelle Lagarde des mots qui sonnent comme des rengaines : «occupation», «solidarité», «résignation», «séquestration», «grève», «solitude», «licenciement»...
C’est sur ce terrain de l’inquiétant, de l’aberrant, mais aussi avec distance et peut-être humour, que la photographe nous laisse le choix de nous questionner ou de nous divertir, ou les deux à la fois. Si elle s’amuse avant tout avec cette mise en scène, comme dans ses précédentes séries, elle ne souhaite ni provoquer ni interdire nos interrogations les plus graves sur le monde, sur l’évolution et l’incongruité de celui ci. Elle se joue des «clichés» de la crise économique, de la lutte des classes. Elle se les réapproprie sans regard blasé ou condescendant, mais en leur insufflant une ambiguïté, une poétique de l’absurde.
Estelle Lagarde nous propose une vision mais ne l’envisage pas comme un constat humain, social ou philosophique.
Entre surréalisme et théâtralité, l’artiste interroge l’espace, l’occupant, et la relation qui les unit. Décors visibles sur les images d’Estelle Lagarde, les gravats et la décrépitude représentent le chaos et le délabrement de notre univers que nous ne savons ou ne voulons pas voir. Dans lequel nous déambulons même, sans nous en rendre compte. Elle se joue et joue du réel comme du rêve. Nous devenons nous mêmes les spectres qui traversent ses images.
La lumière qui pénètre les photographies d’Estelle Lagarde semble également traverser les personnages, nous indiquer tout à la fois leur passé, leur histoire et leur fragilité, leur évanescence. Une trace visuelle leur survit et oscille entre rêve et réalité.
© Estelle Lagarde
Estelle Lagarde interroge l’image, la représentation photographique en même temps qu’elle se joue de la réalité mais aussi de la théâtralité. Elle rend beau et amusant un sujet grave. Nous pouvons alors osciller entre deux réactions, avoir deux échappatoires : l’angoisse ou l’éclat de rire. Souvent les deux mélées l’une à l’autre.
Photos et vignette © Estelle Lagarde