© André Kertesz
L’expo photo 2012 enfin dévoilée : Bram aime « la France » de Kertész
Henri Cartier-Bresson le considérait comme son Maître, mais André Kertész n’est pas un nom qui résonne forcément aux oreilles du grand public. Alors la ville de Bram, pour sa traditionnelle expo photo d’hiver, a choisi de faire découvrir aux bramais et aux amateurs de toute la région ce photographe parmi les grands du XXème siècle.
Un nouvel événement culturel d’envergure pour la petite « ville à vivre » ? Assurément, si l’on considère la signature prestigieuse du Jeu de Paume qui renouvelle son partenariat avec Bram, à la grande satisfaction de Laurent Vézinhet, maire-adjoint délégué à la culture :
« Pour cette troisième édition, pour ce nouveau rendez-vous des bramais avec la photo d’exception, le Jeu de Paume et la ville ont choisi « ma France » d’André Kertész : quel plaisir d’accueillir sur nos cimaises cet immense photographe aujourd’hui célèbre pour son extraordinaire apport au langage photographique du XXème siècle.
Cette exposition nous permet une nouvelle fois de proposer au public bramais des œuvres exceptionnelles dans une programmation culturelle exigeante et accessible.
La photo de Kertész nous touche et parle à chacun d’entre nous. « Ma France » raconte la France de l’entre-deux guerres avec sensibilité, humanité, et le regard si pertinent de l’un des principaux acteurs de l’avant-garde photographique. André Kertész est reconnu aujourd’hui pour son originalité et sa singularité poétique. Ce photographe inclassable nous offre des thèmes éclectiques et une approche souvent très moderne que nous avons essayé de restituer à travers notre sélection pour cette expo : de la fourchette aux rues de Paris, sans oublier les distorsions. »
C’est donc une nouvelle découverte artistique que propose la ville de Bram pendant 3 mois : après les monographies d’Agusti Centelles et de Willy Ronis, Claudie Méjean exprime sa fierté d’accueillir cette année encore une expo prestigieuse :
« Je le répète depuis que nous avons commencé cette aventure photographique avec les œuvres de Centelles au camp de Bram en 2009 : nous voulons des moments culturels qui aient du sens. Du sens à Bram. Du sens pour la Mémoire et l’Histoire. Du sens pour les valeurs qui nous animent. Le choix de ces œuvres fait écho à l’actualité, à l’air du temps. Il est très important de ne pas laisser confisquer le thème de la France, de son histoire, de ses valeurs, de sa beauté et de ses artistes. « ma France » de Kertész, artiste d’origine hongroise qui a su faire rayonner la France, n’est pas un repli sur soi ou sur le passé. C’est un message positif pour toutes les générations, toutes les cultures. Ces photos sont généreuses, humaines et souvent très modernes. Elles montrent une France qui crée, se transforme, évolue mais sait rester elle-même. »
Autoportrait © André Kertesz
Né en 1894 à Budapest (Hongrie), André Kertész réalise son premier cliché en 1912.
Il photographie ses amis, sa famille et la campagne hongroise.
Après la guerre, il s'installe en 1925 à Paris où il découvre le plaisir d'arpenter les rues, de flâner le long des quais de la Seine et d'errer dans les jardins publics. A Montparnasse, il retrouve des artistes hongrois et rencontre de nombreuses personnalités littéraires et artistiques (Mondrian, Eisenstein, Chagall, Calder, Zadkine, Tzara, Colette).
En 1928, il est l’un des premiers photographes à utiliser le Leica. Chroniqueur du quotidien, il décrit avec profondeur les moments les plus anodins de la vie. Ses photographies sont fréquemment publiées dans la presse française (Vu, Art et Médecine) et allemande (Frankfurter Illustrierte, Uhu...).
En 1933, il réalise la célèbre série des Distorsions.
Au sommet de son art, il décide de partir pour New York en 1936, ayant signé un contrat avec l'agence Keystone. Day of Paris, conçu par Alexey Brodovitch, est publié en 1945. Employé par les éditions Condé Nast à partir de 1949, André Kertész devient le collaborateur régulier de House and Garden. Au début des années 1950, il commence à utiliser la couleur. Pour son travail personnel, il photographie son quartier, quittant progressivement la rue pour photographier de la fenêtre de son appartement donnant sur Washington Square.
En 1963, ses négatifs de Hongrie et de France sont retrouvés dans une propriété du sud de la France.
Son talent est désormais reconnu à travers le monde et les expositions se multiplient.
De nombreuses publications lui sont consacrées : Soixante ans de photographie 1912-1972, J’aime Paris (1974), Distorsions (1976), Hungarian Memories (1982). Il séjourne de plus en plus souvent en France avant de décéder en 1985 à New York.
Classique parmi les classiques, maître pour nombre de ses pairs, André Kertész est une figure majeure de l’histoire de la photographie. Synthèse d’une éthique et d’une esthétique, son œuvre recoupe ou précède différents courants d’avant-garde tout en restant profondément attachée aux valeurs humanistes.
La donation André Kertész
La Donation André Kertész constitue un des enrichissements les plus remarquables du patrimoine photographique français. Signée un an avant sa mort, le 30 mars 1984, elle est la marque de reconnaissance la plus significative de son attachement à la France où il vécut de 1925 à 1936. Ces onze années marqueront son œuvre de façon décisive.
En 1925, quittant sa Hongrie natale, André Kertész choisit Paris. Il fréquente le Dôme, y retrouve ses amis, des artistes hongrois et rencontre de nombreuses personnalités littéraires et artistiques qu'il photographie. André Kertész parcourt inlassablement la ville. Il réalise également une œuvre de commande pour des magazines français et allemands.
Au début des années trente, André Kertész est un photographe reconnu, publié, vivant de sa photographie, constamment sollicité pour présenter son art dans les expositions internationales.
La maturité de son œuvre française est probablement à l'origine de son départ à New York, en 1936, où il s'installe définitivement. Les années difficiles commencent.
Après plus de vingt ans de contrats avec la presse américaine dont les Editions Condé Nast, il décide en 1962 de se consacrer à sa photographie personnelle.
Mais Kertész, devenu citoyen américain, garde toujours des relations privilégiées avec Paris. Ses fréquents retours en témoignent au cours desquels murit dans son esprit le projet de confier son œuvre à la France.
En 1986, un premier hommage lui est rendu. La Mission du patrimoine photographique accueille au Palais de Tokyo l'exposition " André Kertész of Paris and New York", organisée par l'Art Institute de Chicago avec la collaboration du Metropolitan Museum of Art.
Au début de l'année 1987, les quelque cent mille négatifs de son œuvre, sa correspondance ainsi que de précieuses archives sont transférées de New York à Paris.
Chez Mondrian © André Kertesz
L'exposition "André Kertész : Ma France"
La travail d'inventaire exhaustif des négatifs et des archives de la période française nous permet de présenter de façon synthétique les multiples aspects de son œuvre réalisée en France de 1925 à 1936 puis à l'époque contemporaine, et de les situer à la fois dans le contexte culturel de l'époque et dans son itinéraire personnel.
L'exposition se compose de 52 épreuves sélectionnées selon les thèmes suivants :
Artistes et ateliers : dont Mondrian, Kisling, Chagall, etc ...
Paris 1925-1936 : l'évolution de son approche de la ville à travers une sélection de photographies.
Paris 1948-1984 : les retours de Kertész en France : photographies de Paris et nouvelle série de distorsions (1984).
L'adoption réciproque
Après l'époque pictorialiste pendant laquelle ils pratiquèrent une photographie précieuse et savante, les photographes réagirent aux excès d'effets vaporeux et autres maniérismes en créant des esthétiques modernes, "cherchant la beauté dans la vie". Ils n'avaient aucune bonne raison de ne pas choisir la curiosité, la spontanéité, le jeu, l'ellipse, la désinvolture. Comme, après les symbolistes, il y eut Alcools, après Demachy, Puyo et consorts, il y eut La Danseuse burlesque. Mais André Kertész, comme ses confrères venus de l'Europe centrale, n'excelle ni en satires, ni en indignations ou agressions. Son registre n'est pas celui du réquisitoire. Il est celui d'une adhésion méritée au monde de tous, sans privilégier ce pittoresque qu'il tient certainement pour superficiel. Il est celui d'une pénétration qui ne craint pas les représentations sillonnées d'interférences. Plutôt que le compagnon de route de quelque idéologue, il est celui du simple promeneur qui, au-delà de ses difficultés et souffrances, a la capacité d'aimer.
Le promeneur, dans les années vingt, choisit la France. Kertész aussi, en 1925.La réalité de son temps est le Paris des poètes et des peintres, celui du Paysan d'Aragon et de la Revue nègre, le Paris sans chronologie des jardins publics, des bords de Seine, de la tour Eiffel, surprenante complice au jeu de cache-cache. Inutile d'y chercher des indices, des traces de l'actualité politique, événements ou faits divers, ils sont minimes, pauvres brides d'une histoire folle. Un rien suffit au regard du photographe pour qu'il acquière une évidence lumineuse, et il est remarquable que Kertész se soit si rarement éloigné de son univers de prédilection, qu'il travaillât sur commande ou non. L'art échappe aux contingences. Entre une photo d'illustration et une photo strictement personnelle, la différence est surtout dans l'usage qui en est fait.
Personne désormais ne sépare l'une de l'autre, ne les hiérarchise. Qui, en regardant les Distorsions, pense à leur commanditaire ? Qui s'étonne que La Fourchette ait pu être utilisée pour une publicité ? Kertész n'a jamais eu deux styles.
Kertész l'immigré, éloigné de sa Hongrie natale et temporairement séparé d'Elisabeth, a besoin de se réconcilier avec une vie facétieuse, éprouvante. Ce sont Chagall, Lurçat, Mondrian, les Tuileries et le Sacre du Printemps qui lui offrent "l'appartenance", alors qu'apparaissent Les Lumières de la ville de Chaplin. Même à quatre-vingts ans, la France où il fut heureux le fera encore pleurer de tendresse.
Pendant ses années françaises, Kertész travaille pour Vu, Art et Médecine, Minotaure : fait-il pour autant de la photographie documentaire ? Ici les moines de la Grande Trappe, là les académiciens français. En publicité, travaux pour Nestlé, le libraire Edouard Loewy. Il se lie aussi avec des photographes tels Germaine Krull, Rogie André, Brassaï. Il participe à des expositions : le Salon de l'Escalier, les Dix, le Salon de l'Araignée. L'adoption avait été réciproque. Kertész à Paris fut loin d'être un artiste en transit entre Budapest et New York.
Sensible à la donnée émotive et sentimentale de la photographie, il l'est aussi à sa donnée spécifique. Si, pendant la montée du nazisme, il répond à Hitler par un portrait avec Elisabeth qui l'a enfin rejoint, l'image est sûrement un symbole, celui de l'amour face à la haine, elle est aussi une photographie pleine et entière dans laquelle toute artificialité a pu être gommée. Son génie est là, dans son art de doser la distance décente et l'implication, le concret et l'ineffable.
André Kertész est souvent revenu à Paris entre les années soixante et quatre-vingt.
Pour les cordes magyares de son âme, il avait définitivement adopté un archet français.
Chronologie
1894 > Naissance d’Andor Kertész le 2 juillet à Budapest.
1912 > Premier appareil photographique.
1914 > Enrôlé le 5 octobre dans l’armée austro-hongroise.
1919 > Pratique constante de la photographie, souvent avec la complicité de son jeune frère, Jenö. Rencontre Erzsébet Salamon qui deviendra sa femme en 1933.
1925 > L’hebdomadaire Az Érdekes Újság publie en couverture une de ses photographies de nuit.
1925 > Kertész arrive à Paris le 8 octobre.
1926 > Rencontre Piet Mondrian à son atelier.
1927 > Première exposition personnelle à la galerie Au Sacre du Printemps, à Paris.
1928 > Commence des reportages pour le magazine VU (où il publiera régulièrement jusqu’en 1936). Il participe à l’exposition de l’avant-garde photographique parisienne, le Salon de l’Escalier, et à l’Exposition internationale de photographie moderne, galerie L’Époque, à Bruxelles.
1929 > Il est présent aux expositions « Fotografie der Gegenwart » [Photographie Contemporaine], à Essen, et « Film und Foto », à Stuttgart. Il reçoit une médaille d’argent à l’Exposition coloniale internationale de Paris.
1931 > Commence à publier régulièrement dans Art et Médecine.
1933> Le 17 juin, il épouse Erzsébet Salamon, qui prend le nom d’Élisabeth Kertész. Il
publie son premier livre, Enfants.
1934 > Publication de Paris vu par André Kertész avec un texte de Pierre Mac Orlan.
1936 > Élisabeth et André Kertész arrivent à New York le 15 octobre.
1937 > Kertész travaille pour différents magazines. Première exposition personnelle à New York aux PM Galleries.
1938 > Il fait la maquette du livre de Robert Capa, Death in the Making.
1939 > Il rencontre des difficultés pour se procurer du matériel photographique et connaît des problèmes de santé.
1944 > André et Élisabeth obtiennent la nationalité américaine.
1945 > Publication de Day of Paris, livre sur le Paris d’avant-guerre.
1947 > Il signe un contrat avec le magazine House & Garden, qui lui assurera un revenu régulier jusqu’en 1961.
1952 > Élisabeth et André s’installent dans un appartement au 2 Fifth Avenue, dont les vues sur Washington Square et sur la ville environnante deviendront des thèmes importants et récurrents jusqu’à sa mort.
1962 > Première exposition rétrospective à Long Island University, Brooklyn (New York).
1963 > Il se rend à Venise pour sa participation à la Biennale Internationale de Photographie, puis à Paris où une exposition personnelle lui est consacrée à la Bibliothèque nationale. Il retrouve ses négatifs laissés en France en 1936.
1964 > Grande exposition personnelle au MoMA de New York.
1967 > Il est l’un des six participants à « The Concerned Photographer », exposition itinérante internationale organisée par Cornell Capa.
1971 > Parution de On Reading, publié en français par les éditions du Chêne sous le titre Lectures et dédicacé « À mes frères ».
1972 > Publication de Soixante Ans de photographie (Sixty Years of Photography), livre rétrospectif de la période 1912-1972.
1974 > Publication de J’aime Paris, Photographs since the Twenties.
1975 > Publication de Washington Square. Invité d’honneur des VIe Rencontres
internationales de la photographie d’Arles, en juillet.
1976 > Publication de Of New York… et de Distorsions.
1977 > Élisabeth décède le 21 octobre, peu avant l’ouverture de son exposition rétrospective au Centre Pompidou. Il crée à New York The André and Elizabeth Kertész Foundation.
1981 > Publication de From My Window, recueil de Polaroids en hommage à Élisabeth.
1982 > Grand Prix national de la photographie décerné par le ministère de la Culture à Paris.
1984 > Donation à l’État français de ses négatifs, de ses archives et de sa correspondance.
1985 > Mort à New York, le 28 septembre.
Photos et vignette © André Kertesz