Denis Roche, 19 juillet 1978. Taxco, Mexique. Ho?tel Victoria, chambre 80. © Denis Roche Collection Maison Europe?enne de la Photographie, Paris
Maison Européenne de la Photographie 5, 7 Rue de Fourcy 75004 Paris France
La photographie en France, 1950-2000
En 1950 la paysannerie représente encore en France le tiers de la population active, la voiture populaire est la deux-chevaux et la publicité se nomme réclame. La photographie s’impose massivement dans les pages des magazines, timidement sur les murs des villes, largement dans la vie quotidienne comme un art populaire, “moyen” comme l’écrit Pierre Bourdieu. Cinquante ans plus tard le paysage est bien différent, la ville a définitivement envahi les campagnes, le mode de vie urbain s’est généralisé et uniformisé.
La photographie est toujours présente mais l’apogée semble passée, les magazines disparaissent les uns après les autres, la publicité s’anime sur les écrans et la photographie est surtout regardée comme une pratique artistique. Elle est partout et donc nulle part, aussi qu’en reste-t-il ? Quelles images ont marqué ce demi-siècle écoulé ?
C’est ce parcours que propose l’exposition à travers les multiples visages de la photographie : photographie de presse, de mode, de publicité, de décoration telle qu’on la trouve dans les magazines ou sur les quais de métro, photographie à prétention artistique qui règne dans les pages des livres ou en grand format sur les cimaises des galeries ou des musées. Ces pratiques diverses aux supports variables dessinent une histoire rarement contée, celle d’un media dans sa diversité et sa richesse, dans son historicité aussi.
Les noms célèbres abondent : ceux de la grande vague humaniste : Henri Cartier-Bresson, Izis, Ronis, Dieuzaide ; ceux de la radicalité artistique : Boltanski, Fleischer, Tosani ; ceux de la photographie narrative et personnelle : Plossu, Roche, Klein ou Depardon, mais aussi des noms beaucoup moins souvent retenus comme ceux de Hamilton, Jonvelle, Goude ou Larivière.
Les commissaires, Gilles Mora et Alain Sayag, ne récusent pas une certaine subjectivité — comment s’en affranchir quand on a participé plus ou moins activement à cette histoire — mais leur souhait est que cette manifestation ouvre le débat sur cette pratique hybride qu’est aujourd’hui celle de la photographie.
Bernard Plossu, Le voyage mexicain, 1966 © Bernard Plossu Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris
Susan Paulsen
“Comme mon cœur, plutôt que comme mes yeux, l’appareil photographique me permet d’exprimer ce que je ressens, et non ce que je vois. La photographie m’aide à comprendre mes sentiments les plus intenses, mes intuitions les plus vives. Au centre de ma vision se trouvent les diverses notions qui me guident : un sens de la famille sur-idéalisé, mon expérience de femme et de mère, le désir de capturer et de fixer sur la pellicule les choses et les événements anodins qui façonnent nos vies. Souvent, dans ma jeunesse, j’allais chez ma grand-mère, qui avait une ferme dans l’Arkansas : la routine de son quotidien m’intriguait. Ma mémoire est remplie d’images du passé qui évoquent des sensations bien précises. J’ai eu une enfance merveilleuse, perturbée, de temps à autre, par le comportement parfois imprévisible et difficile de ma mère et je garde précieusement des images qui me réconfortent et me sécurisent. Mon œuvre tend à récréer l’universalité de mes souvenirs qui résonnent, et en même temps à évoquer les relations toutes simples qui nous lient les uns aux autres, relations que souvent nous ne voyons pas, mais que nous ressentons. Il est important pour moi de remplacer ce qui a été perdu, blessé, nié. C’est une pulsion qui imprègne tout ce que je photographie, et je trouve que je n’ai nul besoin de sortir de chez moi pour prendre des photos. J’espère que mes images touchent l’âme de ceux qui les regardent, leur transmettent un archétype de foyer, une idée du lieu, des personnages et des événements qui recréent une famille. Je souhaite souligner la poésie, la simplicité, l’éloquence d’un moment où l’on semble se complaire dans le dédain de ces valeurs ”
Depuis toujours, Susan Paulsen illustre poétiquement sa vie de tous les jours : sa famille, ses amis, son environnement et le nu. Mais si une grande partie de son travail explore son quotidien actuel — des enfants jouant au Scrabble, des roses fraîchement coupés, des chiens en train de gambader — il concerne également la mémoire et l’histoire de sa famille.
Cette exposition présente exclusivement son travail récent sur sa famille à Wilmot en Arkansas. La Maison Européenne de la Photographie dévoile une sélection d’une centaine de prises de vue de ses tantes, oncles et cousins, réalisées depuis dix ans. Conçues en séries, ses photographies de petit format en couleurs ont la beauté lumineuse des toiles de Vermeer. Elles nous offrent une vision fascinante de la vie quotidienne dans une petite communauté agricole en Arkansas.
Ses images aux couleurs feutrées et d’un flou subtil rappellent sa formation de peintre. Ainsi, à la manière d’une nature morte peinte, son travail évoque la magie du quotidien et la poétique du banal. Comme l’a écrit William Meyers dans le Wall Street Journal, “l’image est tellement naturelle, tellement limpide qu’elle semble s’être prise elle-même, ce qui est précisément le plus difficile dans des travaux artistiques.” Ce nouveau travail est l’objet d’un livre publié par les éditions Steidl, avec une préface de George Shackelford, directeur adjoint du Kimbell Art Museum de Fort Worth, Texas.
Susan Paulsen est née à Milwaukee en 1957, elle vit et travaille à New York. Sa première exposition a été présentée à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, en 2004.
Mary Currie, Wilmot, 2011 © Susan Paulsen
Jean Luc Tartarin
« Là-bas, au loin, par delà l’étendue et parmi des nuées nous sommes entraînés. Nous dérivons dans la lumière des soleils couchant, des soleils levant, dans leur or, dans leurs rouges et les replis sombres de leurs torsions. Nous sommes enlevés, appelés, conviés
à ces opéras délirants où les rideaux s’ouvrent sur l’immensité, où les montagnes du ciel se fendent et se déchirent, évoquant des drames mystérieux qui nous dépassent, vers les délires d’un dieu fou et heureux, qui se roule sur lui-même, s’éventre, s’ouvre par delà lui-même. Nous levons la tête car, bien sûr, nous sommes sur terre, nous arpentons les prés et les bois, pied sur la glèbe, les frondaisons qui nous surmontent, étendent, déploient leurs ramures comme des nuages sombres du monde d’ici. Et nous apprenons que la Terre est à l’image du ciel, et même aux couleurs du ciel quand les lumières du soir dorent les mottes. Et nous faisons une rencontre, ce poulain bondissant à la robe brune, à la masse sculptée par grands pans sous les derniers rayons. être libre et sauvage, dieu de la nature, venu de la terre, mimant les mouvements soudains
des nuages. Oui, les vieux avaient raison, le monde est enchanté, il nous parle par forêts de symboles. Il ne nous dit rien, sinon que toute chose repose en sa splendeur, et ne nous donne que vivre son éningme. Approchons-nous, voici la tête du cheval, tout près, et plus nous regardons et plus nous découvrons des mondes dans
ce monde. Les ombres et les lumières modèlent des collines, des paysages comme font les nuages dans le ciel, car l’infini n’est fait que d’infinis.
La photographie évoque une discipline exacte, qui cadre, qui limite, qui décide de ce qu’il faut découper. Art determiné par la vérité des optiques, des verres froids, des lignes perspectives qui n’existent pas. Jean Luc Tartarin, lui, existe formidablement quand il se promène dans les campagnes, dans l’herbe mouillée, entre les branches. Pour lui l’appareil devient appel d’espace, large respiration, communion avec le grand tout, grosse bête vivante dont nous sommes. Avec Jean Luc Tartarin nous apprenons que la photographie en fait ça ne sert à rien, sinon à nous mettre nez à nez avec la nudité des choses, la texture muette des écorces, des peaux, des murs et des nuages, à s’élancer vers le mystère des espaces et, tout autant, revenir à la vieille matrice, à notre “grisonnante mère” (Kipling) présente, tapie dans tous les détours, et dans tous les recoins. Nous devons l’aimer, la respecter, l’admirer et cesser de la ravager. »
Jean-Claude Lemagny
Ciel XXXIII, août 2001 © Jean Luc Tartarin Tirage Ilfochrome 128 x 158 cm
Sarah N., Autoportraits
« Sarah N. est l’adolescente dont on a pu découvrir, fin 2010, la stupéfiante production photographique, à la fois spontanée et sophistiquée, lors de l’exposition qui fut organisée pour elle par la fondation Brownstone à Paris.
Le choix des oeuvres présentées à la Maison Européenne de la Photographie, parmi de très nombreuses séries toujours marquées par une singularité frappante, s’est resserré sur la pratique de l’autoportrait, souvent et naturellement première chez les photo- graphes qui trouvent dans leur miroir leur premier modèle.
Mais ici, ni miroir, ni la moindre trace de narcissisme : la photographe devient sujet de ses photographies, comme pour découvrir sur elle-même une vision inaccessible — le regard de l’Autre ? —, pour explorer les relations du corps à son propre regard, et du corps à l’espace où il s’inscrit.
Ainsi Sarah N., dans ses autoportraits, peut elle transformer sa physionomie et son anatomie en autant de lieux, tout espace devenant un milieu : celui de la chambre et du lit, tout comme l’eau d’une piscine, où l’image et le corps flottent ensemble.
Dans cette interrogation sur elle-même, Sarah N. explore des points de vue auxquels nul photographe n’a jamais songé. Cette capacité à déjouer les règles, les habitudes et les conventions du regard, lui vient peut-être d’un rapport à l’image singulièrement direct, c’est-à-dire émancipé du pouvoir de la langue sur la perception, avantage imprévu qu’elle tire d’une difficulté première à la parole, lentement et progressivement surmontée. » Alain Fleischer
Autoportrait à l’œil, 2011 © Sarah N.