Galerie Lina Davidov 210, boulevard Saint-Germain 75007 Paris France
Por Cuba
On dit d'elle que c'est une ville qui attend son heure. Que c'est une question d'années, de mois peut-être. Ce sont les agences de voyage qui l'affirment pour mieux la vendre, juste avant la bascule, la chute, juste avant la défiguration.
La Havane est mourante, elle feint de l'ignorer, ou presque. Le délabrement fait partie du décor. Le peuple, les touristes, les voyageurs vivent avec, certains en font jouissance.
On rit et on pleure à la fois de cet état d'oubli de soi et de béatitude prolongé dans lequel semble avoir plongé la perle cubaine, nous répétant à l'envi, où commence et s'achève la mémoire de la ville, que garder, que ravaler, que démolir, qui définit la ville, ses transformations, son patrimoine. Puisque les hommes n'ont jamais cessé de bâtir. Et de vouloir creuser, ennoblir, démontrer, ériger les formes de leur empire.
© Anabell Guerrero, La promesse des fleurs.
Alejo Carpentier reconnaîtrait-il La Ciudad de las columnas que la photographe Anabell Guerrero est venue déchiffrer ?
La Havane ou Lola Montes. Ou la mer.
Notre chemin va vers la mer.
Empreintes de pas. Embruns.
Semelles de crêpe imprimées dans le bitume chaud. La Havane devient une eau-forte. A moins que ce ne soit le soleil qui ait révélé la semelle sur le bitume. Ici, face à l'océan, le soleil agit comme un franc-tireur.
© Anabell Guerrero, Ou la mer ?
A la Havane, Anabell Guerrero rencontre Antoni Tàpies.
A partir de cette première prise et emprise au sol, d'un pied cadencé, le regard se construit sur la ville. La photographie est un jeu. Un jeu de piste et de miroirs. De hasards. Il faut monter et descendre. Quand on est en haut, on s'amuse du tourbillon répété des passants, des voitures. Quand on est en bas, il suffit de s'arrêter d'un signe à l'autre, d'un bleu à un autre bleu, glisser le long des colonnes, laisser les rêveurs à leur place, sans les réveiller, savourer la fraîcheur citronnée d'un patio, associer ce qui se ressemble et se fait écho, ce qui jure et se dissemble, faire des paires, gémeller comme au jeu de Mémory.
Ainsi, La Havane se laisse caresser, jamais pénétrer. Portes, fenêtres, façades de chantier sont des écritures, des paraphes, à fleur. Ici et là, la ville est présente et se fuit, rythmée et triste, colorée cependant, soumise au vent.
Gris jaune gris. Vert ocre bleu. Cuir tanné, ambré des murs, des devantures. La couleur convoque la ville et vice-versa. Elle est à la fois usée et solaire, sale et délicate, sacrifiée ; elle forme l'enveloppe de la ville, son parchemin, sans doute de la plupart des villes, mais de celle-ci particulièrement.
En nous éloignant de La Habana Vieja, et de l'impossible description de cet amalgame architecturel et patrimonial, se rapprochant de la Bahia, je pense au Vieil homme et la mer.
Ici, on se fiche de l'esthétique, demeurent des sensations liées à la profondeur des couleurs, à la franchise des narrations, murs, passants, ciels. Ecume.
La ville est une toile, encore un manuscrit.
Por Cuba
Véronique Donnat.