Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Livres
Le voyage africain de Romano Sclavis Texier est donc désormais une trilogie. Après Suite Africaine etCarnet de Routes,le trio signe cet automne African Flashback, composé cette fois à partir de 30 années de photographies africaines de Guy Le Querrec, par ailleurs l'un des grands maîtres du noir et blancjazz. Un somptueux livret. Une musique dépouillée, comme les inflexions d'un trait d'encre sur le grain du papier.
Aldo Romano, Louis Sclavis, Henri Texier. Pas vraiment besoin de présenter ces trois musiciens. Chacun de leur côté, ils ont labouré, ensemencé la terre d'un certain jazz contemporain, européen. Un jazz, puisqu'il faut bien l'appeler ainsi, qui a surtout retenu des leçonsaméricaines l'idée d'une formidable liberté. Et qui du coup s'est inventé sa propre aventure, son propre langage, sa propre couleur, reflet de sa propre histoire, de sa propre sensibilité.Trois figures un peu mythiques. De ces noms que l'on lit pour la première fois sur la pochette d'un disque inconnu, ces disques qui soudain bouleversent votre vie. Louis Sclavis, Henri Texier, Aldo Romano. De ces noms qui s'érigent alors comme les points de repère d'un nouveau monde, sauvage, mystérieux.
Mais par-delà la tension, par-delà la fureur, par-delà la beauté étrange et complexe du jazz contemporain, African Flashback est un disque de mélodies. La plupart des morceaux possèdent cette simplicité évidente des thèmes qui font de la musique une émotion suspendue dans l'air. Le voyage se déroule comme une suite de paysages aperçus par la fenêtre d'un train. Des paysages qui ont souvent une beauté sereine, rêveuse, presque nostalgique. Parfois l'on y croise des contrées plus arides où les éléments se déchaînent furieusement (pas forcément les morceaux les plus convaincants d'ailleurs), parfois ricane-t-ondu dramatique ridicule de la folie des hommes (un Surreal politik dont le thème sonne comme un écho des Fables of Faubus de Mingus). Mais bien vite,c'est l'apaisement qui prédomine. Et jusque dans les chorus de contrebasse, la musique devient une chanson dont on entend presque les mots.
Peut-être encore plus que les précédents, ce troisième et dernier tome de la trilogie africaine, acoustique, est dépouillé. Une nudité où résonnent des instruments à fleur de peau. La contrebasse d'Henri Texier a ces timbres boisés, profonds comme une forêt, dont les attaques, frottementdes doigts contre les cordes, sont autant de tambours tendus. Aldo Romano ne conserve de la batterie que ce qui est nécessaire au swing. Le drive d'une cymbale, la caresse hypnotique des balais,le martèlement rageur d'une caisse claire. Et Louis Sclavis, à la clarinette ou au saxophone soprano, anches à la rondeur fêlée ou au lyrisme inquiet, déroule, souvent seul au chant, des mélodies interrogatives, des improvisations qui serpentent élégamment entre l'attraction de ces tourbillons circulaires, instables et syncopés, qui sont un peu sa marque de fabrique.
Et finalement, en se dépouillant de tous ses artifices, c'est vers le jazz que la musique revient. Un bien curieux jazz, minimal, n'ayant que faire des remplissages de circonstance. Une simple ligne d'encre. Juste la courbe d'un profil tracé sur le papier. Un swing, des accords qui s'enchaînent comme dans un blues fantasmé, un ostinato élastique de contrebasse, le chaloupement d'un thème à la clarinette. Un souffle funambule, adossé à une rythmique amère et fruitée comme un chocolat.
Romano Sclavis TexierLe Querrec – African Flash-back
Label Bleu – sortie novembre 2005
LB 6679 bis
Aldo Romano : batterie, guitare
Louis Sclavis : clarinette, saxophone soprano
Henri Texier : contrebasse
Guy Le Querrec : Leica