Pyrénées, France, 27 novembre 1984 © Pierre De Fenoyl
Galerie Le Réverbère Rue Burdeau, 38 69001 Lyon France
Pierre de Fenoÿl • Le miroir traversé
Depuis un temps qui remonte à bien avant sa mort, Pierre de Fenoÿl fait partie des photographes qui nourrissent ma fascination pour la photographie. Il est de ceux qui plient le banal par la puissance de leur vision et en changent le statut. Il est de ceux qui jalonnent un parcours, qui donnent de l’épaisseur à la réflexion, qui ouvrent des possibles. C’est un nom familier, presque ami, même si je ne l’ai pas vraiment connu : c’est une référence.
En 1987, l’annonce de son décès interdit l’espoir de le connaître, reste l’œuvre, muette, pour comprendre sa présence au monde. Depuis 25 ans, régulièrement, je parcours ses photographies, comme on relie un texte, pour ne pas laisser l’oubli faire son travail, pour essayer de percer la surface des apparences.
Kamak, Egypte, 10 janvier 1984 © Pierre de Fenoyl
Il y a quelques années, nous avons rencontré Aliette, sa fille, avec qui naturellement nous avons évoqué l’œuvre de son père ; puis Véronique, sa veuve, avec qui nous avons longuement échangé sur les photographies de Pierre de Fenoÿl et partagé de réelles affinités.
Aujourd’hui, après nous être plongés dans des centaines de planche-contacts, nous avons choisi de ne pas nous soumettre à un regroupement thématique de l’œuvre qui l’a trop souvent réduite à des sujets. Ces images, si pleines de temps que seule une grammaire visuelle complexe et intime peut contenir, doivent, comme les notes de musique sur la partition, jouer de l’une à l’autre, par leur noir et blanc, la poésie d’une perception. Voici l’enjeu qui nous passionne : montrer, côte à côte sur le mur, des photographies qu’une écriture plastique, une vision, a pu lier. Ce ne sont pas les sujets qui donnent une apparente cohérence, ce n’est pas la répétition des protocoles qui donne une pensée, ce ne sont pas des modèles formels qui assurent un style. Il y a là une culture savante de l’espace, une dialectique du concret et de l’abstrait, une intelligence des plans et du point de
vue, une agilité intellectuelle qui organisent le réel sous l’ordre d’un regard acéré, et confiant dans la puissance de l’acte photographique.
Les photographies de Pierre de Fenoÿl sont exclusivement faites en noir et blanc avec un 24 x 36 Leica, appareil léger et maniable avec lequel il prouve sa virtuosité pour, dans un cadrage parfait, kidnapper ce que les écrans formés par le réel organisent avec la lumière. Sans surfaces de réflexion la lumière est imperceptible dans l’espace, ainsi prendre une photo (selon l’expression consacrée) est une manière de révéler, de structurer, de s’approprier la réalité pour en faire apparaître la nature profondément mobile. Rares sont ceux qui mettent la lumière au diapason de leur vision, ici c’est le cas : la lumière s’écoule, elle met en pièces les choses, elle organise des blocs compacts et impénétrables, l’abstraction jaillit sous le rythme de ses flaques d’ombre, les éléments flottent. L’imbrication de l’espace, de la surface, des profondeurs, est en permanence interrogée, de sujets en sujets, pour finalement construire et nous offrir son monde de croyance magique.
Castelnau de Montmiral, France, 11 novembre 1984 © Pierre de Fenoyl
Bien sûr, notre choix au fil des planche-contacts n’a retenu que des photographies qui ont été sélectionnées par Pierre de Fenoÿl. Le miroir est donc traversé en sa compagnie, il nous offre le passage au pays des merveilles grâce au Leica – anagramme de Alice – cet appareil qui arrête le temps pour lui permettre de passer au delà du tain...
Jacques Damez mai 2012