L’interpre?te, Grand Ho?tel, Pristina, Kosovo, 27 Avril 2011, 2011, ilfochrome colle? sur aluminium, cadre et verre, 126 x 157 cm, courtesy Air de Paris © Bruno Serralongue
Pour sa nouvelle exposition personnelle chez Air de Paris, Bruno SERRALONGUE présente une sélection de photographies issues de ses dernières séries : Sud-Soudan, 2011 (sur les cérémonies officielles organisées à l'occasion de la déclaration d’indépendance du pays), Kosovo 2009 - en cours (sur la construction d'un nouveau pays en Europe) et Florange 2012, titre de travail (sur le conflit social opposant les salariés à la direction du groupe Arcelor Mittal).
L’artiste subvertit à la fois les procédures de la photographie conceptuelle, révélant la complexité du réel plus qu’il n’en épuise les formes, ainsi qu’un certaine logique d’immatérialisation à l’œuvre dans l’art contemporain : ici c’est plutôt un mouvement inverse que SERRALONGUE réalise, ramenant à l’ordre du visible ce qui ne serait sinon qu’effets d’annonce médiatique. Car le propos de l’artiste n’est pas juste formel ni même visuel malgré l’indéniable construction de ses images. Il porte bien, par la qualité de son regard, sur la nature historique même des événements qu’il couvre, dans la contingence d’événements qui ne valent pas juste par eux-mêmes, mais comme autant de « construction sans fins de conflits possibles par la résolution des précédents » (B.S.).
En quoi c’est bien à Siegfried Kracauer qu’il emprunte et transforme le titre de ses écrits historiques inachevés : L’Histoire – Des avant-dernières choses (Paris, Stock, 2006), tant il est vrai que ses images révèlent la forme de la complexité des choses, leur histoire : elles sont paradoxalement immatérielles en ce qu’elles renvoient à la fin sans cesse différée de l’histoire tout court.
Sur la série Kosovo : 2009 - en cours / ongoing
Les événements marquants la célébration du premier anniversaire de l’indépendance du Kosovo le 17 février 2009, m’ont permis de réaliser une première série de photographies à Pristina en répétant une procédure mise en place lors de précédentes séries : me rendre sur place par mes propres moyens, photographier à côtés des reporter photographes, sans acréditations, avec une chambre photographique, un événement.
Mais j’avais envie aussi de retourner au Kosovo en dehors de tout événement médiatique annoncé. Je me suis donné très arbitrairement 5 ans pendant lesquels je retournerai régulièrement au Kosovo, après quoi le travail sera considéré comme achevé.
Pour ou contre l’indépendance n’est pas la question à laquelle je souhaite répondre. Je prends acte de cette réalité : un nouveau pays est né sur le continent européen. La question qui m’intéresse est plutôt d’envisager ce que cela veut dire à l’heure où les questions identitaires et d’immigrations occupent les unes des journaux.
Bruno SERRALONGUE
Sur la série Sud Soudan (2011) :
Au terme de plusieurs décennies de guerre civile opposant l’armée nationale soudanaise aux rebelles du sud du pays aboutissant à la signature d’un accord de paix en 2005 et à l’enclenchement d’un processus d’indépendance supervisé par l’Organisation des Nations unies, le Sud-Soudan accéda officiellement à son indépendance le 9 juillet 2011. A cette occasion trois jours de cérémonie furent organisés dans la nouvelle capitale, Juba (Djouba), en présence de plusieurs chefs d’Etats et de gouvernements. Le Sud-Soudan devint le 54ème Etat du continent africain et le 193ème Etat membre des Nations Unies.
Depuis l’an 2000, c’est aussi le quatrième pays qui accède à son indépendance à la suite d’une guerre civile (Timor Oriental, 2002, Monténégro, 2006, Kosovo, 2008) qui va entrainer la partition d’un pays sur des bases ethniques, linguistiques et religieuses.
Lors d’une conférence à Washington, Hillary Clinton, la chef du Département d’Etat américain (qui était présente à Juba), résumait ainsi l’état du pays : « Le Soudan du Sud a survécu à l’accouchement, mais il a toujours besoin de soins intensifs ». Comme pour les autres pays récemment indépendants, c’est à l’organisation des Nations unies que revient le rôle de procurer ces soins intensifs. A des degrés divers, L’ONU a accompagné ces pays vers leur indépendance et participe activement à la
mise en place des institutions exécutives et judiciaires sur le modèle de la démocratie parlementaire dans laquelle je vis. Ce n’est pas la question du bien fondé de ces guerres d’indépendance qui me préoccupe, je suis à priori toujours pour. Ce qui me préoccupe serait plutôt le rôle tenu par les puissances extérieures au nom du « droit d’ingérence » tel que le formule Alain Badiou à propos d’un autre conflit, « l’intervention a[avait] montré que, sauf dans des coins perdus où on peut s’entretuer artisanalement pendant des décennies sans que la « morale » s’émeuve, les impériaux, dirigés par les Etats Unis et organisés dans l’OTAN, avec l’ONU comme couverture méprisée, disposent du monopole de la guerre sous la forme suivante : On ne laissera personne gagner une guerre. [...] Ce qui compte est que l’ambitieux ne puisse l’emporter. On pourrait objecter que c’est en étant victorieux dans des guerres que les occidentaux, et singulièrement les Américains, ont forgé leur puissance planétaire. Très juste. Cela veut seulement dire qu’on a compris la leçon : on ne laissera personne devenir puissant ».
Bruno SERRALONGUE
Série Florange, 2012, 125 x 156 cm, © Air de Paris, Paris
Bruno Serralongue est né en 1968 à Châtellerault. Il vit à Paris où il travaille ainsi qu’à Genève où il enseigne à la Haute Ecole d’Art et de Design depuis 2004. Depuis les années 90, suite à ses études en histoire de l’art, à l’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles et la Villa Arson de Nice, Bruno Serralongue développe une œuvre unique et de première importance.
Depuis 1996 ses photographies sont exposées régulièrement en France et à l’étranger, ainsi, dernièrement, au San Francisco Art Institute, San Francisco. Une série d’expositions rétrospectives ont été présentées au Wiels (Bruxelles), au Jeu de Paume ainsi qu’à la Virreina Centre de la Imatge (Barcelone). Ses œuvres sont dans de nombreuses collections privées et publiques ainsi le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, la Tate Modern à Londres, le Fotomuseum de Winterthur, le Musée National d’Art Moderne, centre Pompidou, Paris et la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, Paris. Sa dernière série Sud Soudan est présentée cet été aux Rencontres de la Photographie d’Arles. Des monographies lui ont été consacrées par les Presses du Réel (2002 puis 2011) et les éditions JRP/Ringier (2011).
Photos et Vignette © Bruno Serralongue