Expositions du 13/10/2005 au 09/01/2006 Terminé
Grand Palais Galeries nationales du Grand Palais Champs-Elysées 75008 Paris France
Depuis quinze ans, à la demande de la Direction des musées de France et de la Réunion des musées nationaux, Gérard Rondeau photographie régulièrement des musées et des expositions temporaires, et enparticulier celles présentées à Paris, aux Galeries nationales du Grand Palais. Mais plutôt faudrait-il dire : dans des musées et des expositions, car il ne s'agit aucunement pour lui de réaliser des reportages sur lesœuvres, les bâtiments ou leurs visiteurs.
Il agit à son gré, en promeneur libre de ses mouvements, sans autre programme que celui d'évoquerautrement – ou de saisir de l'intérieur, pourrait-on dire - des lieux redoutablement chargés de mémoire et déjà infiniment photographiés, ainsi que le travail méticuleux et secret que la présentation d'œuvresd'art prestigieuses exige.
On voit assez la difficulté de l'exercice. La voie est étroite en effet entre quelques périls : celui d'abord desolliciter les oeuvres elles-mêmes, dont les qualités propres et la beauté pourraient «suffire» ou pallier des insuffisances ; celui aussi, bien sÛr, de la photographie touristique, qui ne fait que répéter une leçonapprise ou des figures imposées ; celui enfin, le plus pernicieux peut-être, de jouer abusivement sur l'écart ou le contraste entre l'œuvre d'art reconnue, séparée, «muséifiée», réputée morte, et la vie quicontinue autour d'elle, dans ses formes les plus diverses, les plus inattendues. Gérard Rondeau avance sur ce chemin peu praticable et l'on sent vite, en suivant le parcours del'exposition, que ce ne sont ni les monuments ni les oeuvres, ni les choses, ni même les gens qui retiennent son regard, mais ce qui est le moins visible : les relations entre les uns et les autres, et surtoutl'air particulier qu'un lieu respire, ou une atmosphère particulière de travail, que l'on perçoit bien, et que l'on peinerait à définir avec des mots, mais que lui sait reconnaître soudain dans un banc de pierre isolé,dans le geste d'un conservateur ou la démarche d'un visiteur, dans un cadre encore emballé posé par terre... L'exposition regroupe 150 photographies, prises pour la plupart dans les Galeries nationales duGrand Palais ; les autres montrent, sous des aspects souvent inattendus, plusieurs musées nationaux : le musée d'Orsay, le musée Picasso, le musée de Port-Royal-des-Champs, le musée Jean-Jacques Henner...
Grand Palais Galeries nationales du Grand Palais Champs-Elysées 75008 Paris France
VOYONS VOIR...par Christian Caujolle, directeur de l'Agence VU, Paris, commissaire del'exposition. Dans sa vingtième édition, le Dictionnaire universel d'histoire et de géographie de Bouillet (Paris, LibrairieL. Hachette et Cie, 1869) consacre une longue notice au musée : « Musaeum, édifice d'Alexandrie où les Ptolémées rassemblaient, en les entretenant aux frais de l'État, les savants les plus distingués, pour qu'ils s'y livrassent à loisir à la culture et à l'enseignement des lettres et des sciences. On en attribue lafondation à Ptolémée I. [...] Le Musée dura jusqu'au règne d'Aurélien, sous lequel il fut détruit par un incendie. On a depuis donné le nom de Musée, soit à des réunions de semblables savants, soit à des collections d'art ou d'antiquités. »Un siècle plus tard, le Petit Larousse définit l'exposition comme l'« action de placer sous les yeux du public des objets divers, notamment des œuvres d'art ou des produits industriels ou agricoles ». Mais également comme « la peineinfamante par laquelle on présente un condamné, attaché à un poteau, au pilori ». Quant au « catalogue », le même ouvrage le réduit à une « liste, énumération par ordre ». Il est toujours amusant de confronter ce type de définitions à la situation actuelle des musées dont la fréquentation, aucours du dernier quart du XXe siècle, s'est accrue de façon spectaculaire, en raison, essentiellement, de la rénovation de lieux, de la réinstallation des collections et de la médiatisation de propositions spectaculaires d'ensembles ambitieux qui, souvent, circulent au niveau international. S'il est toujours vrai que « les savants les plus distingués » sont toujours « entretenus aux frais de l'État », l'exposition reste une « action de montrer sous les yeux du public », ne peut craindrecomme « peine infamante » que la critique négative et l'absence de fréquentation et le catalogue, souvent devenu livre, ne saurait se réduire, à l'exception des « catalogues raisonnés », à une simple liste. Le catalogue est toujours pensé comme « catalogue d'exposition », l'un ne sachant se passer de l'autre. Gardons cependant en tête que les bonheurs ou les déboires que nous font connaître les musées sont imputables au seulPtolémée Ier et à sa volonté de créer un lieu dédié à la « culture et à l'enseignement des lettres et des sciences ». Il n'est jamais inutile de retourner aux fondamentaux, même si tout cela, parfois, paraît déraisonnable. Le visiteur du musée, aujourd'hui, ne voit jamais deux des éléments qui, pourtant, conditionnent le quotidien desétablissements. Tout à sa délectation ou à sa découverte, il ignore généralement les autres visiteurs. Il est pourtant peu d'éléments aussiinstructifs et passionnants que de constater comment le public s'installe et se meut dans l'espace et il n'est rien de plus significatif que de regarder comment chacun regarde, selon des modalités toujours différentes, choisissant sa distance,tournant autour d'une sculpture ou s'y confrontant frontalement, se rapprochant pour cerner un détail ou se penchant longuement sur une vitrine pour s'approprier un objet. L'autre hors-champ est celui qui a présidé à la mise en place des objets, à leur scénographie, aux types de relations induites entre les uns et les autres en fonction de leur localisation dans les salles, au type de parcours, véritable guide, qui a été pensépuis installé pour développer un propos, produire à la fois du sens, des étonnements et du plaisir. Tout cela est le fruit d'un travail, intellectuel d'abord, puis physique et pratique, qui, souvent, prend les proportions d'un gigantesque chantier.Chacun sait que la plus grande réussite est atteinte lorsque le visiteur ne relève pas la scénographie et ne peut à aucun instant imaginer le labeur qui a présidé à la mise en œuvre. Aujourd'hui, plus que jamais, une exposition est une proposition de lecture, donc une mise en scène, plus ou moinsspectaculaire, d'œuvres rassemblées dans le but d'argumenter une thèse, de cerner une question, de faire une mise au point, de proposer une nouvelle lecture d'œuvres connues ou de faire découvrir de nouveaux aspects ou de nouveauxterritoires. Le temps des accumulations et du désir d'exhaustivité a laissé place à la nécessité de l'analyse telle qu'elle peut s'installer dans les volumes du musée. Depuis plus de dix ans, Gérard Rondeau, dont on connaît la passion pour les artistes, la curiosité envers les lieux où ils sont montrés et la prédilection pour la façon dont la lumière, en pur dialogue avec la photographie, révèle la sculpture qui le captive, a exploré le musée et a cerné les questionnements que nous avons évoqués. Il l'a fait essentiellement dans le cadrede commandes régulières pour la Réunion des musées nationaux, allant des salles prestigieuses des Galeries nationales du Grand Palais à de petits musées de province en passant par le musée Guimet, si remarquablement rénové et réinstallé parHenri Gaudin. Il faut souligner la durée exceptionnelle de cette commande qui au-delà des aspects de communication, a donné le jour à un véritable projet . La fidélité à un seul regard permet, évidemment, de construire, d'établir des passerellesvisuelles, de tisser une grille de lecture, ce qui est tout à fait impossible lorsque l'on demande simplement à un photographe d'être, ponctuellement, le mercenaire au savoir-faire technique qui fournira les documents utiles sur l'instant. De cette fréquentation au long cours des musées de l'Hexagone, Gérard Rondeau, fait maintenant le point, dresse unbilan qui nous dit également son point de vue, singulier et cultivé, sur les lieux les plus prestigieux de la culture visuelle aujourd'hui. Qu'importent les sujets traités, les périodes historiques, il s'agit de rendre visible des questions. Il ne s'agitplus de décrire mais d'inscrire un regard dans ce que le public, jamais, ne voit ni même ne soupçonne, de l'activité muséale. Première constatation, au niveau du choix, Gérard Rondeau a éliminé de sa sélection tout ce qui était par trop anecdotique : ces images, qu'il a naturellement enregistrées lors de reportages la plupart du temps très rapides, et qui, dansun cadre, mettent en relation des gestes, des personnages et des objets qui, dans la réalité, n'ont entre eux aucun lien significatif. Ces images, souvent séduisantes et grandement utiles en termes de communication sur l'instant, se révèlent, àla seconde analyse, bien trop superficielles. Tout commence avec des espaces vides : le musée est clairement une scène, munie de ses projecteurs, et qui attend derecueillir l'installation des œuvres. Ce sentiment de la scène en attente de programmation, pour nous qui avons la chance, par le truchement du regard du photographe, de suivre les répétitions à partir des coulisses, est renforcé par la présence deséchelles, par la machinerie rendue visible, par les efforts physiques des techniciens, par les personnages qui se croisent, par une main qui effleure un objet. Ces scènes de chantier, saisies au vol avec la légèreté et la discrétion que permet le Leica, soulignent l'ampleur des efforts déployés et laissent parfois place au sourire lorsque, dans ce désordre indispensable pour construire ce qui seral'ordonnancement parfait de la monstration, des rencontres incongrues s'offrent à l'objectif. Ces instantanés sont également l'occasion de nous montrer des œuvres telles que nous ne les verrons jamais : un tableau vu de dos durant sontransport, un autre que l'on dévoile de sa protection de transport à la manière dont les préfets inaugurent une stèle (mais ici, ce sont des nymphes qui apparaissent), des sculptures monumentales démembrées et à reconstituer, par exemple.Ce dispositif de « reportage », documentaire mais non descriptif, qui s'attache toujours à ce que révèle la lumière et à la singularité des ambiances, est complété par une série de « natures mortes » en format carré qui s'attachent aux objets dans l'état qui précède leur installation. « Portraits » d'objets avant usage, pourrait-on dire, pour ces bouddhas enveloppés de films transparents qui captent la lumière et font vibrer de brillances l'étagement des gris. Photographiquement parlant, ilssont équivalents à une Vierge romane que l'on aurait protégée de la même manière et qui, elle aussi, avant d'être déballée, est ramenée à son statut d'objet, de simple objet. Mais de ces objets qui, de même qu'ils rythment le parcours visuel de ladocumentation du hors-cadre, viendront, dans l'espace, accompagner le parcours du spectateur. Lorsque l'exposition est en place, elle accueille les visiteurs. Seuls ou en groupe, attentifs ou dispersés. Les images despublics sont l'occasion de quelques images qui, tour à tour, vont assimiler une petite foule de regardeurs à celle qui est figurée sur un tableau, interroger la distance entre celui qui scrute et l'objet considéré ou figer le passage d'une jamberévélée par un rai de lumière sous le regard indifférent d'un Picasso photographié. Le musée, l'exposition, comme espaces de circulation. De fait, le maître mot qui parcourt l'ensemble de ce regard porté sur le musée aujourd'hui est celui de l'espace et de son sens, de son utilisation, de ses surprises, de reflets en lignes de fuite. Espace de possibles lorsque le travail acharné dumontage ne peut laisser deviner ce que sera l'exposition en gestation, espace de déambulation et de découverte si l'on se penche sur la pratique des publics. Au travers de ce portrait du musée aujourd'hui s'affirme, avec élégance et discrétion, une pratique documentaire de laphotographie qui montre ce que l'œil ne saurait voir et qui révèle ce à quoi le public n'a jamais accès. Ce hors-cadre, parfois ludique, souvent sérieux, sert simplement de révélateur à une des pratiques culturelles aujourd'hui dominantes etla questionne avec sympathie. Mais sans flagornerie. Exposition Impressionnisme. Les origines 1859-1869. Paris, Galerie nationales du Grand Palais, avril-aoÛt 1994. © Gérard Rondeau 2005