Je suis pas mort, je suis là © Laetitia Tura
Galerie le Carré d'Art Galerie Le Carré d'Art Centre Culturel Pôle Sud 1, rue de la Conterie - BP 37604 35131 Chartres-de-Bretagne France
“Je suis pas mort, je suis là”
Pour traverser les frontières, murs réels et lignes imaginaires, on apprend sur le tas. Un savoir caché se transmet de rencontres en rencontres. Comme une initiation, on franchit les étapes une à une. Dans cette entreprise identifiée à une guerre, chacun devient soldat pour sa propre survie. Aventuriers.
Abandonner provisoirement son identité, traverser le territoire à la marge des villes, se camoufler, avec ses propres pieds comme arme et le corps pour unique rempart. La durée, l'effort, l'incertitude : loin des regards, le mouvement des migrants est souvent peu spectaculaire, dans des lieux isolés où rien ne se passe. Arrivés au front.
Oujda et ses forêts abritant des tranquilos.
Une plage et la promesse d’un départ.
Melilla et sa barrière, seule frontière terrestre de l’Europe sur le continent africain.
Tijuana et ses murs, monstres déployés dans la ville mexicaine.
Se préparer pour l’offensive. Disparaître des radars.
Plus tard, les fantômes refont surface.
Ceux restés dans la mer ; ceux que les courants n’ont pas déposé sur les plages.
Ceux dont les corps ont été perdus dans le désert.
Quelles histoires nous racontent-ils ?
Les photographies et les extraits d'entretiens sont issus d'un travail mené depuis 2007 par Laetitia Tura et Hélène Crouzillat au Maroc, à Melilla (enclave espagnole située sur le territoire marocain) ainsi qu’au Mexique.
Ce travail donnera également naissance à un film documentaire, Les Messagers, dont la sortie est prévue début 2013.
A propos de la série LINEWATCH – (Mexique - Etats-Unis, 2004-2006)
Depuis la mise en place en 1994 de l’opération Gatekeeper en Californie, la ligne de partage entre le Mexique et les Etats-Unis se déploie avec brutalité par un dispositif de sécurité survisible qui trouve son argument officiel dans la volonté de dissuader les migrants « illégaux » de passer vers les Etats-Unis 1. Cette militarisation de la frontière a déplacé les passages traditionnels vers des régions plus hostiles, montagneuses ou désertiques. En 10 ans, plus de 3000 personnes sont mortes dans la traversée. 2
Comment poursuivre un travail de mise en visibilité, nécessaire et indispensable, sans mettre en péril - plus encore - les migrants ? Ce genre de travail photographique paraît incongru, ridicule même au regard des urgences sur place face auxquelles l'image ne peut répondre immédiatement. Et pourtant. Dans la construction des imaginaires associés à la migration, l'enjeu est de résister à des discours, des formes et de répondre, par l'image, à l'invisibilité - politique - du migrant.
J’ai voulu voir la frontière comme une bande de terre. Par ses fractures, le dispositif frontalier transforme la morphologie de la terre. Je n’ai pas vu de types sauter la barrière, je ne l’ai pas attendu non plus. J’ai choisi de regarder le dispositif même, son déploiement de murs et de projecteurs, et non celui qu’il ne désigne que pour l’accuser. Car au cœur de la frontière, les projecteurs figent la figure du migrant comme un criminel. Les jeux d’ombres et de lumières mettent en scène les corps ; le moment du passage est surexposé tandis que l’histoire individuelle et collective du migrant est occultée.
Les points de passages non autorisés ont été la raison du parcours que j’ai suivi dans et autour de la frontière. A l’extrémité ouest de la ligne : la plage. Un mur métallique s’enfonce dans les flots du Pacifique. Il prend différents noms : la linea, la malla, el bordo, la lamina, la cerca. La barrière file vers le cañon de matadero, puis se dédouble au cœur de la ville de Tijuana.
A l’extérieur des zones urbaines, le mur disparaît quelque part dans les montagnes, réapparaît quand la terre se fait plaine, se perd à nouveau dans le désert. Ces brèches dans le dispositif de sécurité sont autant de passages possibles pour ceux qui sont nommés les illegal aliens. Des lieux isolés et peu accessibles, où rien ne se passe. Et pourtant, la marche des migrants est là, lente, loin du regard, mais s’inscrivant dans l’Histoire.
Laetitia Tura
Je suis pas mort, je suis là © Laetitia Tura
Laetitia Tura
Né en 1978, vit et travaille à Saint-Denis (93). Laetitia Tura mène depuis 2001 un projet photographique dédié aux frontières et aux migrations. Après la frontière du Sud-Liban (2001) et la frontière mexicano-étatsunienne (2004-2006), elle travaille actuellement au Maroc et à Melilla sur la mise à l’écart et la disparition des migrants ainsi que dans les Pyrénées, sur les territoires de la Retirada. Elle a développé une démarche où le recueil de la parole fait partie intégrante du dispositif de prise de vue.
Son travail a été exposé lors de nombreux festivals en Europe : Promenades Photographiques de Vendôme, Festival de Cinéma de Douarnenez, Photaumnales de Beauvais, Biennale des arts visuels de Liège, L’Évocation documentaire à Genève, Festival Migrant’Scène à la Cartoucherie de Vincennes ; et au Mexique, au centre culturel de Tijuana et au sein du réseau des Alliances françaises. Sa série Linewatch (Mexique-Etats-Unis) a été remarquée à plusieurs reprises - revue Documentaire, Bourse du Talent, Le Monde 2… - et a reçu le Premier prix du Festival Voies Off à Arles en 2006.
Elle intervient régulièrement dans le cadre d’ateliers artistiques, notamment auprès de publics marginalisés. En 2010, elle co-anime l'atelier audiovisuel Le goût de la famille à Montigny-le-Bretonneux (La Maréchalerie-centre d’art contemporain) ainsi que Les Héros de la Madeleine à Evreux (L’Appart’). En 2012, elle réalise avec des jeunes travailleurs accueillis par la FASTI Histoires en suspend ? Cette même année, elle intervient en milieu carcéral : Des corps intérieurs, un atelier associant photographies et textes avec Hélène Crouzillat, à des femmes détenues à la Maison d’arrêt de Versailles. Elle participe à la réalisation d’un journal dans la Maison centrale de Poissy.
Elle rejoint le bar Floréal début 2010.
Je suis pas mort, je suis là © Laetitia Tura
Hélène Crouzillat
Réalisatrice et monteuse, Hélène Crouzillat déploie son activité artistique sur plusieurs domaines de prédilection : la création sonore, avec le souci de faire naître la parole là où elle fait défaut, l’expérimentation vidéo et le montage de films documentaires.
Entre 2006 et 2008, elle réalise plusieurs pièces radiophoniques (prise de sons, montage, habillage) avec Pulsart : Cent familles, paroles d’enfants et d’adolescents placés dans un foyer de la région parisienne (30’), Viva Utopia, paroles de jeunes incarcérés à la Maison d’Arrêt de Villepinte (25’), Le corps, paroles de jeunes errants (15’) , Les hommes aussi, ils pleurent, paroles de femmes migrantes (20’), Hors de toit, paroles de sans domicile fixe (45’), Ecart d’identité (30’).
Entre 2003 et 2005, elle collabore à la conception de trois émissions diffusées sur CD, Sous le soleil et les avions, reportage pour la Ville de Pierrefitte (55’), Co, Commun, Communauté, pour le mensuel Vacarme/rubrique La Sonore, 2004 (45’), La nuit du 10 au 11, pour le mensuel Vacarme/rubrique La Sonore, 2003 (45’).
En parallèle, elle réalise plusieurs vidéos expérimentales, produites par le collectif artistique Adelaïde&Co : Neige (10’), Petites mains (26’), Noli me tangere (5’), Le miel et le sang (10’), diffusées en festivals et galeries, et monte depuis 2006 des films documentaires, D’un mot à l’autre / Le cirque (26’) et D’un mot à l’autre / les femmes, (52’) réalisés par Laetitia Lambert, pour la SACD, L’épreuve des urnes (52’), 68 non-stop (52’), le carnaval de Kwen (62’), réalisé par Fred Hilgemann, pour la télévision (Toute l’Histoire, Chaine Parlementaire, France O).