Marie Rameau
Point Rouge Gallery 4 rue du Dahomey 75011 Paris France
Paysages silencieux,
les chemins de mémoire de Marie Rameau
Les formats, d’abord, forcent la proximité. On ne contemple pas de loin les photographies de Marie Rameau ; elles appellent le spectateur dans leur espace et l’amènent à s’aventurer sur des chemins silencieux où règnent à la fois l’épure et la gravité. Ses sujets, des arbres, des oiseaux, des petites routes de campagne, sont autant d’appels au recueillement presque instinctif du spectateur.
Ainsi, l’émotion, surgit sous toutes ces formes, et ses collectionneurs se promettent, pour certains, de s’offrir une de ses œuvres chaque année jusqu’à leur mort, ou annoncent fièrement à l’artiste en passant la porte d’une galerie : « J’en ai douze ! ». Mais que l’on ne s’y trompe pas. Ces petites choses précieuses que l’on contemple avec gourmandise sont toujours le fruit longuement muri d’un autre travail, invisible celui-là, mais toujours sous-jacent ; ces œuvres sont d’abord nées des mots et d’un travail d’écriture quotidien et presque conceptuel. C’est l’histoire qui prime chez la photographe. La petite et la grande, dans toute la beauté de leur entremêlement. La mémoire au sens le plus noble, la trace presque neurologique des choses vécues qui constitue notre être et nous différencie de tout autre.
De ces longues heures passées à écrire, le spectateur ne sait rien. Ces lieux de mémoire, dont on ne verra que la photographie, oublient alors volontairement l’histoire personnelle de l’artiste qui leur a donné naissance. Et s’ils deviennent si proche de nous, c’est que chaque spectateur les drape non pas dans cette histoire dont il ne peut et ne doit plus rien savoir, mais dans celle, intime, qui lui est propre, unique.
Dans la simplicité graphique des canopées nues de ces arbres d’hiver, dans les contrastes déliés de ces chemins enneigés, dans la tension froide et précise qui anime cet oiseau qui prend son envol, tout, absolument tout nous parle de nous même et tend ainsi à l’universalité de l’intime. Toi et moi, nous regardons.
Toi et moi, nous sommes émus. Voilà pour l’universel. Mais chaque œuvre touche chaque spectateur d’une manière unique et personnelle. Et voici pour l’intime.
Ces paysages silencieux, comme Marie Rameau les appelle, sont d’ici et d’ailleurs, de tout de suite et d’hier, conséquence enviable d’une œuvre qui ouvre les esprits à leur propre intériorité.
Jean-Daniel Mohier, juin 2012.
Kerhillo © Marie Rameau
«…C’est à partir de cette pelouse devant moi que je crois entrevoir l’impact du vert sur la vision d’autrui, c’est par la musique que j’entre dans son émotion musicale, c’est la chose même qui m’ouvre l’accès au monde privé d’autrui. Or, la chose même, nous l’avons vu, c’est toujours pour moi la chose que je vois. L’intervention d’autrui ne résout pas le paradoxe interne de ma perception : elle y ajoute cette autre énigme de la propagation en autrui de ma vie la plus secrète, autre et la même, puisque de toute évidence, ce n’est que par le monde que je puis sortir de moi… »
Un jardin, un enfant qui court derrière sa mère.
Un nuage
La noirceur d’un sous-bois.
Le jaillissement des arbres
Un promeneur solitaire longeant le bord de mer dans une
errance indéfiniment réitérée.
La nécessité à dépasser sa propre histoire est posée face à la quête de l’image photographique. L’évidence de sa présence se fera pourtant lorsque le spectateur dans son regard posé sur ces photographies choisira de se laisser couler dans la douceur du souvenir du goût d’un biscuit que l’on a trempé dans du thé… ou de passer son chemin. Chercher à atteindre l’autre c’est admettre avec soulagement qu’il n’est pas si différent. Dans ce regard posé sur les images, l’enfant lancé à la poursuite de la silhouette qui s’éloigne sera à la fois autre et tout autant incarné.
L’histoire, déplacée, cessera de n’être que celle du photographe.
Et ces deux représentations se réuniront en un originel palimpseste, dans lequel les images non faites laisseront s’insinuer, pas à pas, la réminiscence.
Eloigné des conflits, du chaos que pouvaient engendrer les couleurs, le choix du noir et blanc est celui de l’ombre autant que de la lumière.
Le noir demeure secret, plein et épais. Il cache. La lumière bouscule, divulgue, entraine à renoncer aux silences, impose ses transparences, dans un lent cheminement de la pénombre à la clarté. Entre mystère et quiétude.
Le support froid et métallique du miroir m’éloignera de la tentation sans cesse réitérée de regarder trop en arrière.
Balaiera l’excessive mélancolie qui pourrait occuper tout l’espace. M’intimera, à toute bonne fin, l’obligation d’être de mon époque.
L’hypermnésie de l’outil photographique reconstituera, dans l’appropriation d’un centième de seconde d’espace-temps, des fragments de souvenirs.
L’aspiration à un rendu pictorialiste de l’image se fera dans un éloignement du naturalisme par l’usage de techniques de tirages entrainant un effet sfumato.
De cette absence de précision naitra, peut-être, la résurgence de souvenirs communs.
Face à un paysage silencieux, à l’image de ceux quêtés sans fin, je m’applique à entourer l’espace jusqu’à lui soumettre des contours, jusqu’à définir que c’est ainsi que je cherche à retranscrire le lieu, à raconter la lumière.
Les silhouettes aimées peupleront sans fin l’image, dans le délicieux mystère du hors champ mémoriel.
Portraits muets, invisibles. Ces paysages seront silences, respirations.
Promenades apaisantes entre deux visages, entre deux histoires.
Dans un léger bruissement, ces images hypothétiquement sourdes à toute présence humaine seront une méditation sur le caractère passager de notre présence dans le monde.
La possibilité de transcender l’oubli sera offerte dans la douce banalité d’un paysage inconnu et cependant familier qui pour un instant suspendra le temps…
Marie Rameau, Juin 2012, juste avant la pluie.
Bourgogne IV © Marie Rameau