Expositions du 10/11/2005 au 15/01/2006 Terminé
Victoria and Albert Museum South Kensington, London SW7 2RL (44 20 7942 2000). www.vam.ac.uk
A Londres, la rétrospective «Revelations»: plus de 200 tirages de la photographe américaine, ses carnets de notes...
Les gens d'Arbus
par Brigitte OLLIER
QUOTIDIEN : vendredi 28 octobre 2005
Diane Arbus, Revelations,
jusqu'au 15 janvier 2006 au Victoria and Albert Museum, South Kensington, London SW7 2RL
(44 20 7942 2000). www.vam.ac.uk
Catalogue édité par Schirmer-Mosel.
Organisée par le Museum of Modern Art de San Francisco (Libération du 12 janvier 2004), l'exposition consacrée à Diane Arbus, «Revelations», est aujourd'hui au Victoria and Albert Museum de Londres, après une halte à New York. Plus de 200 tirages, la reconstitution d'une partie de son domaine privé (chambre noire, bibliothèque, etc.), l'exhibition de ses carnets de notes, de ses appareils photo, un bon gros catalogue (1), quelques produits dérivés, l'Arbusmania a de beaux jours devant elle.
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Diane Arbus, 1923-1971
Il y a de quoi séduire un large public, tant cette Américaine bien née se consacra à la reconnaissance des autres. Elle n'y trouva aucun salut (suicide le 26 juillet 1971, elle a 48 ans), mais probablement quelque consolation. Plus l'enchantement de cette obscurité qu'elle repéra chez Brassaï, le plus parisien des photographes hongrois, dont elle possédait un exemplaire des Voluptés de Paris, publié en 1934 : «(...) Pendant des années, j'avais été exclusivement obsédée par la clarté. Je n'ai compris qu'avec lui [Brassaï] combien j'aimais ce que je ne pouvais voir sur une photographie. Chez Brassaï, chez Bill Brandt aussi, on trouve la substance même de l'obscurité physique et c'est un grand choc de la découvrir soudain» (2).
«Chair de poule». Longtemps désignée comme la madone des freaks, Diane Arbus chercha d'abord à comprendre le monde. Cette ouverture si distinguable dans ses portraits au carré est la clef de son royaume, elle qui se sentit prisonnière d'une enfance dorée à New York. Ce qui l'intéressait, c'était ce qui s'échappait de ceux qu'elle rencontrait, tantôt seule, tantôt avec l'alibi de commandes elle travailla beaucoup pour la presse, plus de 250 clichés publiés, de 1960 à sa mort, dans Esquire, Harper's Bazaar, Sunday Times Magazine, Nova.
Diane Arbus avait la grâce pour repérer sur un trottoir ou sur un banc, au bord de la mer ou dans les coulisses d'un club de travestis, au restaurant ou dans un cirque, l'incarnation de ses rêveries les plus dingues. Avec une fascination pour ce qui avait trait, de près ou de loin, à «toutes ces familles [qui donnent] la chair de poule». C'est ainsi d'ailleurs que l'on peut regarder une partie de son oeuvre, avec l'idée d'une famille idéalement reconstituée, chaque nouveau photographié intégrant son jeu des 7 familles, de la famille des nudistes à celle des excentriques en tous genres, jumeaux, tatoués ou drogués, y compris ces pin-up qui firent fureur dans les années Vietnam, avec leur sex-appeal feutré.
Même si elle s'approcha des gens célèbres (Norman Mailer, shooté en sa vulgarité ; Mae West, d'une classe folle avec son chien noir au lit), Diane Arbus leur préféra la galerie d'inconnus qu'elle croisa au petit bonheur la chance, parfois en forçant le hasard. Mais n'importe quel photographe, soumis à un casting identique, n'aurait pas fait merveille comme elle. Elle s'y entendait pour hypnotiser ses modèles ceux qui l'ont connue parlent d'une voix de sirène, elle s'avouait un peu hypocrite , leur imposer de longues séances de pose ou les faire sortir d'eux-mêmes, comme l'Enfant à la grenade (1962) qu'elle rendit littéralement hystérique.
Arbus confrontait sa réalité à celle du portraituré, qu'elle n'enferma jamais dans un cadre au cordeau, c'est l'une des façons de reconnaître l'empreinte de ses photographies, les personnages ont l'air d'y flotter. En état d'apesanteur et manifestant une certaine gentillesse, sans ironie, chez elle, on est loin de la cruauté manifeste de Richard Avedon ou de la force naturelle de Lisette Model, laquelle lui permit, lors de son enseignement en 1957, de choisir une voie plus originale.
Un instant précis. Chacun a en tête son cliché préféré de Diane Arbus, et «Revelations» offre aussi l'occasion de réviser les classiques. La famille Dauria, Richard et Marylin, sosie de Liz Taylor, avec leurs deux gamins (1968) ; la femme sans tête (1961) ; le jeune homme aux bigoudis (1966) ; deux ados fumant sans vergogne dans Central Park (1962). Jusqu'à sa dernière quête les handicapés mentaux, «je les adore», saisis entre 1969 et 1971 , Diane Arbus s'essaya à capturer l'instant précis où elle s'identifiait à son modèle ; cette sorte de «tension permanente» qui habite chaque être humain, et qu'elle mit en scène pour son mari, Allan Arbus, alors en mission en Inde. Elle a 22 ans, pose face à un miroir, nue jusqu'à la taille, elle est enceinte de Doon, sa première fille. C'est l'un des plus beaux autoportraits de l'histoire de la photographie, ce geste d'une femme en attente, encore dans la transparence de l'amour.
(1) Auquel on pourra ajouter The Libraries, répertoire de la bibliothèque de Diane Arbus édité par Fraenkel Gallery, une merveille designée par Yolanda Cuomo.
(2) Cité par Charles-Henri Favrod dans le Temps de la photographie.Victoria and Albert Museum South Kensington, London SW7 2RL (44 20 7942 2000). www.vam.ac.uk