3 juillet, Villamuera de la Cueza, Castilla y leon © Yvon Bobinet
La Barak 10, rue de la petite loge 34000 Montpellier France
Très utilisée désormais dans le cinéma, la 3D reste un procédé marginal en photographie. Avec ses séries d’images en relief, Yvon Bobinet étonne et détonne. A travers cette technique, le photographe s’amuse des images et des mots pour entrer en interaction avec le spectateur. Il joue avec les impressions, mêlant ingénieusement réel et imaginaire.
Des mondes en relief
Diplômé des Beaux-arts de Nantes, Yvon Bobinet a longtemps enseigné les arts appliqués. Parallèlement, il a toujours pratiqué la photographie. Vers 2000, après avoir longtemps travaillé en argentique, il se lance dans l’aventure du numérique qui lui permet d’approcher différemment l’image stéréoscopique. Depuis peu, il peut se consacrer pleinement à sa passion, multipliant les expositions où il surprend le monde photographique, habitué aux images planes.
Pour produire ses images en relief, Bobinet a choisi l’approche binoculaire. Nom compliqué pour un procédé enfantin qui sied à l’espièglerie de l’auteur.
A l’aide de deux appareils fixés côte à côte, le photographe prend deux clichés en simultané, chacun selon un angle de vue légèrement différent. Les photographies sont ensuite traitées de sorte qu’il ne reste qu’un cliché vert et un cliché rouge. Juxtaposées, les images forment un anaglyphe, image en relief que l’on peut visionner à l’aide de lunettes filtrantes.
6 avril, oasis de Chirfa, Niger © Yvon Bobinet
Depuis vingt ans, Bobinet réalise des séries d’anaglyphes. Pourquoi ce choix ? Tout d’abord, selon l’artiste, les images produites, même vues sans lunettes, présentent un intérêt et une lisibilité particulière. Elles suscitent la curiosité.
C’est aussi la nature de l’espace stéréoscopique qui a séduit le photographe. En effet, cet espace n’existe que si l’on prend le temps de le regarder. La magie des lunettes filtrantes fait aussi que l’image apparaît uniquement pour une personne, pendant un temps compté et intime. Le spectateur peut alors s’approprier l’espace mais il prend également conscience de sa fragilité et de sa fugacité. La 3D confère par ailleurs une sensation de proximité, l’idée d’un espace que l’on pourrait toucher en tendant la main. Le spectateur peut alors se sentir impliqué dans ce qu’il observe.
Ce ne sont plus des images que le photographe se plait à créer, mais bien des mondes.
10 décembre, Cap Breton, Nouvelle-Ecosse © Yvon Bobinet
Regarder autrement et voir ce qui n'est pas
Les anaglyphes induisent une démarche active de la part du spectateur. Le travail du photographe peut ainsi être vu comme une invitation à voir autrement, à consacrer du temps à chaque image dans un monde où celle-ci est omniprésente et où, chaque jour, nous absorbons des informations visuelles à une vitesse vertigineuse. Yvon Bobinet présente des visuels détaillés, invitant chacun à y passer du temps, à regarder au sens ancien de « faire attention à » et ainsi à découvrir les histoires qu’ils racontent. Des histoires que le photographe, par un travail habile, s’amuse à brouiller encore, même une fois révélées par le filtre des lunettes.
« Mes images sont des espaces fabriqués. En apparence proches de la réalité, elles sont en fait des mises en scène que la spatialité spécifique de l’anaglyphe rend consciemment fictives. Il faut juste regarder autrement... »
Bobinet manipule les apparences, mêlant univers fantaisistes et technique hyperréaliste. L’image binoculaire donnant une perception purement mentale de sa spatialité - car construite par le cerveau lorsqu’il fusionne les informations vertes et rouges - est intrinsèquement prédisposée à nous faire voir ce qui n’est pas. On comprend ainsi pourquoi le photographe a choisi de privilégier cette technique, jouant sur l’ambiguïté entre le réel et le perçu.
14 janvier, Amangan, Kirghizistan © Yvon Bobinet
De cette série en cours, Yvon Bobinet présente quelques extraits. Il s’agit d’un ensemble de paysages à première vue paisibles, des « pays sages ». Ils semblent refléter un échantillon du monde, culturel et géographique, bribes d’un voyage qui aurait conduit le photographe de la Corse à la Polynésie en passant par le Kirghizistan.
Cependant, comme toujours, derrière les apparences se cachent des histoires et des situations imaginées.
Comme lorsqu’il était enfant, Yvon Bobinet s’invente des histoires et reconstruit un monde à son échelle à partir d’espaces naturels. Pour qu’il y ait illusion, la conversion doit être vraisemblable. Mais dans chaque image, un objet dérange. Elément abandonné laissé ou glissé par le photographe, il donne au spectateur une idée de l’échelle du lieu mais alerte aussi sur l’impact de l’homme sur la planète. Aucune volonté de dénoncer ou de critiquer ici. Simplement, encore, de poser des questions. Avec cette invitation à la rêverie et au voyage, Bobinet tisse une fois de plus un lien ténu entre le monde réel et celui de l’imaginaire.
15 novembre, South Bloomfield Township, Ohio © Yvon Bobinet
Photos et vignette © Yvon Bobinet