© Françoise Saur, Drapés/5
Musée Bartholdi 30 rue des Marchands 68000 Colmar France
"Les bâtiments anciens ont tous une âme. Ils bruissent des esprits de leurs habitants, des échos de leurs affectations successives. Ils ont accumulé traces et strates de leur histoire. Au musée Bartholdi se découvrent même quelques signes de l’époque où le sculpteur y vécut.
La poussière s’est accumulée dans les greniers. Les pièces, jadis d’habitation, ont changé de fonctions et sont devenues salles d’exposition, réserves, bureaux...
Mais il y a là de petits riens, parfois dérisoires, parfois somptueux ; des bribes ténues d’his- toires révélatrices du temps qui passe, de l’usure, des réparations et de l’entretien. Les visiteurs n’en ont guère conscience : l’intime reste caché. Le voici mis en lumière."
Françoise Saur Février 2012
Le titre de l’exposition de Françoise Saur fait référence aux espaces inaccessibles au public du musée Bartholdi. Révélée par le regard de l’artiste ces lieux anodins et chargés d’histoires prennent une épaisseur inattendue.
De toutes ses prises de vue réalisées dans l’ancienne demeure du célèbre sculpteur, Françoise Saur a composé sept séries qui se présentent comme un inventaire : Drapés, Traces, Sièges, Sculptures, Emballages, Reflets, Objets.
© Françoise Saur, Sièges/2
Héritière du courant de la photographie subjective d’Otto Steinert (1918-2002), elle évoque les différents aspects de ces environnements désertés à travers une interprétation parfois abstraite mais toujours sensible et personnelle. De ces univers insoupçonnés, elle retient les mises en scènes arrêtées par le temps, les traces d’un passage, les attentions et les négligences, adoptant des cadrages audacieux, jouant des couleurs, des matières et de l’ambiguïté des images proposées. Au final, chacune des étapes du parcours qu’elle organise à travers ses séries restitue l’esprit des lieux figés par les dépôts du temps qui semble peser toujours plus lourd.
Avec un infini respect pour l’intimité d’un autre artiste, Françoise Saur a imprimé ses photographies sur un papier chiffon luxueux, puis a soigneusement mis en valeur chacun des objets de son inventaire dans les différents cadres récupérés dans le salon parisien du sculpteur colmarien. Enfin, le rythme des images inscrites dans des écrins aux colorations variées s’affiche sur la partition des murs de la salle d’exposition du musée Bartholdi.
Les Drapés couvrent les mobiliers encombrants et se figent sous le poids du temps devenu poussière jusqu’à se pétrifier eux-mêmes. Les Traces révèlent sous des formes abstraites d’écritures ou de motifs rupestres les empreintes de la main de l’homme, la trame de son labeur. De manière théâtrale, les Sièges assoient leur autorité, frontale et altière ou invitent à l’abandon en exhibant leur profil aux courbes généreuses et accueillantes. Déposées dans les réserves du musée, telles Sculptures, lorsqu’elles ne sont pas brisées ou déjà mortes, semblent tourner le dos et fuir l’oeil du photographe pour dissimuler avec pudeur l’humiliation de leur transitoire destitution. D’autres disparaissent, provisoirement défigurées ou annihilées par soucis de précautions, comme étouffées sous les Emballages, tels des cadavres à la morgue.
© Françoise Saur, Emballages/4
Dans les espaces exigus et confinés des greniers, se jouant du peu de lumière qui traverse de petites fenêtres, les Reflets composent le décor, apportent là une touche de couleur, ailleurs l’illusion d’un espace et finalement ne renvoient qu’à eux-mêmes. Que dire de ces Objets dont la violence métallique et les formes agressives contrastent avec la cha- leur d’un bois de plancher et les fleurs délicates d’un vieux papier peint ? Il semblerait que le temps les ait finalement réconciliés au milieu des cartons d’emballage, dans un monde d’illusions composé de bibliothèques en trompe l’œil.
Chacune des séries de Françoise Saur se distingue par son sujet. Toutes évoquent un temps révolu et cherchent à en garder le souvenir. Ce travail ressemble à notre mémoire consti- tuée de bribes, de puzzles d’images, de détails parfois insignifiants d’un environnement, d’un objet, d’un éclairage, d’un moment. Les photographies révèlent l’œuvre du temps qui passe, modifiant l’espace, couche après couche, dans un long travail de sédimentation. Françoise Saur retient dans ses compositions l’esprit des lieux, élevant au rang d’œuvres d’art ses dessous les plus anodins et les moins chics avec une infinie poésie.
Frédérique Goerig-Hergott Conservatrice au musée Unterlinden
Vignette : © Françoise Saur, Drapés/5