© Christian Lutz
Centre de la photographie - Genève 28 rue des Bains 1205 Geneve Suisse
De janvier 2011 à juin 2012, la compagnie sturmfrei a proposé une réflexion sur la « Beat Generation », au travers d'ateliers, de lectures, de représentations (créations et tournées) à Genève et en Belgique, d’une performance lors du Festival TR4NS en février 2012 et d’une installation photographique et sonore au Centre de la photographie Genève en mai 2012.
Le point de départ de ce processus de travail fut l’œuvre « Howl » d’Allen Ginsberg, poète américain né en 1926 et figure majeure de la « Beat Generation ». « Howl » (qui signifie hurler, mugir) a été écrit en 1955 avec un beat à couper le souffle et fut, en son temps, un scandale littéraire. Il s'adressait aux « grands esprits de cette génération détruits par la folie, affamés, hystériques, nus, se traînant à l'aube dans les rues nègres, à la recherche d'une furieuse piqure » – tel est le début de ce poème-fleuve, une ode et un poème d’amour qui ne cesse de crier le désespoir.
Allen Ginsberg empoignait les mots comme une arme et visait le pouvoir politique et économique, le langage conventionnel, pour raconter la solitude, le désespoir, la désillusion, le manque. Mais la force de ce poème réside avant tout dans le rythme, la virtuosité de la langue et les images qu'il évoque : une écriture expérimentale et automatique est tissée, construite et déconstruite durant toute une après- midi sous l’effet de drogues hallucinogènes. Le cri de Ginsberg lui a coûté la prison et la censure en 1956.
En novembre 2011, Maya Bösch crée, avec sa compagnie sturmfrei, « Howl » à la Biennale Charleroi Danses en Belgique. Sa version évoque ce bruit, le cri du peuple, sa rage et le flux du monde, et donne à voir un présent troublant, fragile et désespéré. Avec une once d’espoir, d’où le titre « HØPE / Howl ».
En mai 2012, l’exposition au Centre de la photographie Genève propose une installation mêlant photographie, scénographie et diffusion sonore afin de témoigner de manière ludique et interactive de la totalité du processus créatif autour de ce projet. Des textes, interviews et autres supports théoriques et philosophiques accompagnent l’installation créant ainsi une sorte de temporalité distincte autour du sujet : la pauvreté, la solitude, l’errance, le désespoir, la rage.
© Christian Lutz
Interrogeant notre société, notre responsabilité mais aussi notre posture intellectuelle, sociale ou politique, cette intervention cherche à dévoiler ce qu’on ne désire pas voir et à faire entendre ce qu’on évite d’écouter : le monde du souterrain, le monde des oubliés, le cri dans l’ombre. Elle compose, grâce aux photographies de Christian Lutz, grâce au son et aux objets un espace plastique projetant également les utopies et les rêves d’une génération.
Comment armer ses yeux face à l’autocratie économique et politique, face aux évènements quotidiens de la rue, face au pouvoir ? Comment armer ses yeux face à soi-même ? Ne pas voir pour mieux voir ?
Deux salles distinctes dans la forme et le fond forment l’ensemble de l’installation. La première restitue la diversité du processus de création et documente en noir et blanc le souvenir de ce théâtre de la pauvreté ; la deuxième, toute en couleurs, propose de nouvelles perspectives et interrogations, croisant théâtre et vie réelle.
L’accrochage des photographies de Christian Lutz, qui inclut autant de photographies faites sur scène que dans les rues de Las Vegas, évoque un voyage temporel : chronologie du projet / processus de création / performance / « street photography ».
Les grands formats côtoient une frise de petits formats afin de dévoiler pratiquement la totalité de l’aventure : les diverses architectures et les lieux de travail, mais aussi des scènes urbaines, les visages des acteurs interprètes, des musiciens et des danseurs, le corps des SDF, l’expression des corps dans l’espace, la lumière, mais aussi les postures de rage, de solitude, d’errance ou de désolation.
Des objets disposés au sol ou sur une table dessinent une référence spatiale et temporelle : objets personnels ou métaphoriques, désarmés, constituent une phrase dont les mots-objets sont indissociables et uniques à la fois. Aucune loi hiérarchique ne les régit, si ce n’est la loi de la gravité. Des enregistrements sonores, des témoignages, livres philosophiques, notes de travail, réflexions, manifestes théoriques et artistiques, images en mouvement viennent compléter l’installation.
© Christian Lutz
L’enjeu est de mettre en place des zones denses, spécifiques, qui se distinguent ; composer avec un seul geste artistique et une vision globale. Ce type de mélanges, cette transdisciplinarité entre arts, scéniques, plastiques, photographiques et sonores, est représentatif du travail de la compagnie sturmfrei en général.